L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
Nejma (Oulaya Amamra), 22 ans, travaille chez Léonard, un manadier qui élève un troupeau de taureaux en semi-liberté. Pendant son temps libre, elle s’entraîne pour remporter la prochaine course camarguaise, un sport qui consiste à défier un jeune bovin dans une arène pour aller chercher la cocarde entre ses cornes à l’aide d’un crochet et gagner des points. Les compétiteurs, appelés les raseteurs, ont la possibilité de sauter par-dessus des barrières pour éviter de se blesser. Ni sang versé ni mise à mort. Le spectacle est éthique.
Au-delà de cette découverte folklorique, Animale, d’Emma Benestan, se présente d’emblée sous la forme d’un western féministe : l’héroïne apparaît à cheval, droite et intimidante, évolue dans un milieu d’hommes, fait preuve de pugnacité dans les combats… Mais lors d’un soir de beuverie qui vient célébrer sa première course et son esprit aventurier, elle perd connaissance dans les pâturages. Plus tard, des garçons de son cercle rapproché sont retrouvés morts assassinés, déchiquetés. Nejma perçoit des sons différemment, entend plus distinctement les taureaux, son corps opère une mue méthodique. Le genre – l’horreur – s’infiltre progressivement dans sa vie et semble n’appartenir qu’à elle.
Transfiguration des corps
Présenté à Cannes en mai en clôture de la Semaine de la Critique, une sélection particulièrement attentive au cinéma de genre depuis la projection en 2016 de Grave, le body horror (qui expose des perturbations transgressives du corps humain) à émanation cannibale de Julia Ducournau, Animale est aussi une affaire de mutation. A la différence près qu’elle ne caractérise pas le passage à l’âge adulte mais le déni post-traumatique.
Ce film de Far West méditerranéen laisse rapidement de côté sa fausse piste originelle. Malgré une rumeur selon laquelle une bête sauvage rôde, il ne fait aucun doute que Nejma a été abusée sexuellement. Et, à rebours du classique rape and revenge (« viol et vengeance »), le long-métrage propose exactement son inverse – un revenge and rape. Dans ce paysage sauvage de marais salants et de landes à salicornes, la victime ne se souvient de rien. En matière de cinéma, le viol a eu lieu hors champ.
Ruben Impens, chef opérateur belge qui s’est distingué chez Felix Van Groeningen et Julia Ducournau, n’a pas son pareil pour s’approcher des épidermes et conférer une dimension mystique à la transfiguration des corps qui grattent, saignent, se cabossent, souffrant de leurs métamorphoses. Alors que la période connaît une véritable moisson de longs-métrages d’horreur féminins (The Substance, de Coralie Fargeat, et prochainement Les Femmes au balcon, de Noémie Merlant), le genre s’affirme comme un vecteur de prédilection pour questionner les intimités dans leurs parts sociale et politique.
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