Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont paralysé, mercredi 18 juin, le centre de Buenos Aires, en soutien à l’ex-présidente de centre-gauche Cristina Kirchner, qui a entamé mardi une peine de prison à domicile.
Point de ralliement, l’emblématique Place de Mai, face à la présidence, était remplie en début d’après-midi, et les avenues y menant bondées, inondant le centre-ville, dans la manifestation la plus suivie depuis de longs mois, ont constaté des journalistes de l’Agence France-Presse (AFP).
Une source du Parti justicialiste a fait état à l’AFP de « centaines de milliers » de manifestants, dont nombres venus par cars de provinces. Ce chiffre était encore invérifiable à la publication de cet article, et la police n’a pas communiqué d’estimation.
Figure-clé de la politique argentine depuis vingt ans, première dame, puis cheffe de l’Etat puis vice-présidente, Mme Kirchner, aujourd’hui encore principale opposante au président ultralibéral Javier Milei, est depuis mardi assignée à résidence, après confirmation par la Cour suprême d’une peine de six ans de prison et d’inéligibilité à vie, pour administration frauduleuse pendant sa présidence (2007-2015).
Mardi, la justice l’a autorisée à effectuer sa peine chez elle, comme elle l’avait sollicité, arguant notamment des raisons de sécurité, mais avec un « dispositif de surveillance électronique », que le jugement n’a pas spécifié.
« Argentina con Cristina ! » : sous ce mot d’ordre, le Parti justicialiste (péroniste de centre-gauche), héritier du vaste courant politique né dans les années 1940, avait appelé à manifester, avec syndicats et mouvements sociaux et organisations de gauche.
Une garde quasi-permanente sous les fenêtres de l’ex-présidente
Le rassemblement se déroulait dans une atmosphère pacifique, festive mais assourdissante, de pétards, chants, grosses caisses, cuivres, sur fond d’odeur de barbecues de rue, et sous des drapeaux argentins, banderoles ou pancartes : « Courage Cristina », « On ne touche pas à Cristina ! » Dans la foule aussi, nombre de tee-shirts à l’effigie de Kirchner ou de Nestor, son mari décédé, et ex-président (2003-2007).
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« On vient soutenir une personne qui a permis à des gens comme moi pour la première fois d’accéder à l’université », arguait à l’AFP Veronica Barrientos, infirmière de 40 ans. « Et on continuera, je continuerai à venir aussi longtemps que je peux. Pas seulement contre sa détention injuste, mais parce que le pays est en train d’être ruiné, et ça finira très mal. » « On est là car c’est une attaque contre la démocratie, de rendre inéligible quelqu’un comme Cristina, pour qui le peuple veut voter », appuyait Rocio Gavino, fonctionnaire de 29 ans.
Depuis la condamnation du 10 juin, un noyau dur du militantisme péroniste s’est mobilisé autour de « CFK ». Plusieurs centaines de partisans indéfectibles se sont relayés sous ses fenêtres, y compris de nuit, en une garde quasi-permanente.
Mais mercredi voyait le premier réel rassemblement de masse, avec des autocars convoqués de plusieurs régions du pays, et soumis à de stricts contrôles policiers, dès tôt le matin, aux accès à la capitale.
« Bien sûr qu’il y a des contrôles, pour éviter que certains objets soient importés, prévenir toute intention de violence, que ceci se transforme en quelque chose que personne ne veut », a défendu Guillermo Francos, chef du cabinet des ministres, qui a remis la mobilisation péroniste en perspective. « Il est logique de penser qu’il y a un secteur de la population qui soutient Cristina. Il est minoritaire aujourd’hui en Argentine, mais il représente 25 %. Mais il y a un autre 75 % qui ne partage pas ce soutien », a-t-il posé. Référence au paradoxe qui voit Mme Kirchner, selon les sondages convergents, susciter plus de rejet que d’adhésion, aussi forte et adulatrice soit celle-ci.
Une demande à la justice pour sortir sur son balcon
Pour Lara Goyburu, politologue à l’Université de Buenos Aires, la marche très suivie de mercredi « démontre une capacité de mobilisation de rue que le péronisme, au sens large, conserve encore ». Mais, estime-t-elle, « ce qu’on ne voit pas dans cette marche (…), c’est la transversalité observée en d’autres occasions, comme la marche universitaire » d’avril 2024, sans doute la plus spectaculaire en dix-huit mois de présidence Milei.
Cristina Kirchner, désormais consignée chez elle, a ironisé mercredi en annonçant avoir transmis, très officiellement via ses avocats, une demande à la justice pour savoir « si je peux sortir ou non au balcon de ma maison. Ca paraît une blague, mais non ». Depuis sa condamnation, elle a pris l’habitude de longuement saluer, plusieurs fois par jour, les partisans réunis à ses fenêtres. Or son assignation à résidence lui enjoint de « s’abstenir de tout comportement susceptible de troubler la tranquillité du voisinage ».