Dans sa cellule, en prison, Artiom Kamardine a perdu l’inspiration. Mais pas la force d’écrire. Cet artiste et activiste, opposant au Kremlin de Vladimir Poutine et à son « opération militaire spéciale » en Ukraine, a fait parvenir une lettre au Monde. Un long texte signé « un poète opprimé ». Poursuivi pour « appels à des actions menaçant la sécurité nationale » après avoir déclamé en public ses vers anti-Kremlin et antiguerre à Moscou, Artiom Kamardine a été condamné, le 28 décembre 2023, à sept ans de prison.
Près d’un an plus tard, la justice vient de le transférer d’un centre de détention provisoire de Moscou à la colonie pénitentiaire n° 2 de Pokrov, à une centaine de kilomètres au sud de la capitale. Quelques jours avant, Artiom Kamardine, 34 ans, avait pris la plume : « La poésie n’est pas un crime. Et l’amour est plus fort que la répression. Un poète, en Russie, est plus qu’un poète. »
C’est au nom de ce principe que, le 25 septembre 2022, juste après le décret du Kremlin sur la mobilisation militaire pour le front ukrainien, Artiom Kamardine avait décidé de passer de la plume à l’acte. Au pied de la statue du poète Vladimir Maïakovski (1893-1930), sur une place au cœur de Moscou et lieu de rencontres politico-poétiques depuis les décennies soviétiques, il était venu lancer ses vers rageurs : « Tue-moi, milicien. » Un poème rebelle contre les forces de l’ordre et, au-delà, contre les « siloviki », ces hommes des services de sécurité qui ont pris le pouvoir en près d’un quart de siècle de règne de Vladimir Poutine. Artiom Kamardine dénonce leur « bras punitif », les accuse d’« avoir déjà goûté le sang », évoque les « fosses communes » en Ukraine. Et vise le chef du Kremlin : « Votre président sera très content de vous. Déchirez-moi en lambeaux ! »
« Choisi pour faire un exemple »
Vingt-quatre heures – et quelques menaces de mort sur Internet – plus tard, les hommes masqués d’une troupe d’élite scient à la meuleuse la porte de l’appartement du poète. Ils l’arrêtent brutalement. Artiom Kamardine est forcé à présenter des excuses filmées, pratique devenue une routine depuis la guerre en Tchétchénie, au milieu des années 1990. Dans les locaux du comité d’enquête, il aurait été violé à l’aide d’un haltère.
« Je suis né dans la Russie libre. Ce pays n’existe plus, détruit et dévoré par un monstre qui se fait appeler Russie », a écrit Artiom Kamardine depuis sa cellule humide de 8 mètres carrés, à Moscou, partagée avec deux autres condamnés pour « extrémisme ». Il y explique l’essence de sa poésie. « C’est dans une Russie libre et démocratique que je me suis formé en tant que personne. Rétrospectivement, le fil conducteur de mon art a été la réflexion sur le processus de transformation de ma patrie en une dictature fasciste, sur la prise de conscience de l’impossibilité d’arrêter ce processus. » Il clame son amour des libertés, « aussi naturelles et nécessaires que de respirer, que d’embrasser un être cher… ». Et de conclure : « Mon art s’articule autour de la poésie et de l’actionnisme. »
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