A cinq mois de l’élection présentielle au Cameroun, l’opposition est maintenue sous la pression du pouvoir judiciaire. Détenus depuis cinq ans à la prison centrale de Yaoundé après avoir manifesté en 2020 contre le pouvoir en place, 23 militants du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) doivent comparaître, jeudi 15 mai, devant la chambre judiciaire de la Cour suprême. Les juges de la plus haute juridiction du pays devront statuer sur les demandes de libération déposées par leurs avocats en juillet 2024.
Après plus d’un an en détention préventive, ces 23 militants avaient été condamnés en première instance par le tribunal militaire de Yaoundé, en décembre 2021, à des peines allant de cinq à sept ans de prison pour « révolution », « manifestation publique » et « attroupement ». Les pourvois en cassation introduits par leurs avocats sont toujours en cours d’instruction. Quant aux demandes de mainlevée des mandats d’incarcération, elles concernent 36 militants du MRC mais seuls 23 d’entre eux sont appelés à comparaître jeudi.
Tous avaient participé aux manifestations du 22 septembre 2020 organisées dans plusieurs villes du pays. Ce jour-là, sur fond de difficultés économiques et de réélection contestée du président Paul Biya pour un septième mandat, en 2018, les manifestants, qui réclamaient notamment une refonte du système électoral et un retour à la paix dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, avaient fait l’objet d’une « violente répression », selon des experts des Nations unies.
La réponse des autorités aux marches pacifiques s’inscrivait dans le cadre d’« une répression massive et systématique des droits civiques et politiques », confirme Fabien Offner, chercheur au bureau Afrique de l’Ouest et Afrique centrale d’Amnesty International. Au total, 593 personnes avaient été arrêtées, d’après le collectif Sylvain-Souop (nommé en hommage à un avocat camerounais mort en 2020 après un accident de voiture), qui défend les militants du MRC. Selon Hippolyte Meli, coordinateur du collectif, 38 membres de ce parti sont détenus dans les prisons camerounaises. Le plus âgé aurait plus de 70 ans.
« Mouvements clandestins »
Dans un avis rendu public en novembre 2022, le groupe de travail du Conseil des droits de l’homme des Nations unies avait qualifié d’« arbitraire » la détention de quinze militants du MRC, dont le trésorier, Alain Fogué Tedom, et le porte-parole, Olivier Bibou Nissack. Sans fournir d’explications et au grand dam de leurs avocats, la Cour suprême n’a pas convoqué ces deux responsables lors de l’audience du 15 mai. Les autres militants figurant dans le rapport onusien ont quant à eux déjà purgé leur peine ou ont été libérés sous la pression d’ONG internationales, à l’instar de Maurice Kamto, président du MRC et leader de l’opposition, arrêté en janvier 2019 puis détenu pendant neuf mois pour « tentative d’insurrection ».
Pour appuyer leur requête, les avocats contestent également la compétence du tribunal militaire de Yaoundé à juger des civils. Ils s’appuient pour cela sur les lignes directrices de Luanda adoptées par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en 2014 et sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.
Selon Noah Roger Justin, secrétaire général adjoint du MRC, ce feuilleton judiciaire montre comment les autorités « utilisent la justice pour détenir arbitrairement et illégalement des opposants ». Mais les coups portés contre l’opposition ne se résument pas au cas des « prisonniers politiques » du MRC. En mars 2024, les principaux partis de l’opposition et des organisations de la société civile réunis au sein de deux coalitions, l’Alliance politique pour le changement (APC), proche de Maurice Kamto, et l’Alliance politique pour la transition (APT), conduite par Olivier Bile, ont été qualifiés d’« illégaux » et de « mouvements clandestins » par les autorités.
« La mesure prise par le gouvernement contre ces coalitions montre comment les autorités camerounaises agissent pour fermer l’espace à l’opposition et au débat public à l’approche de l’élection présidentielle de 2025 », a estimé Carine Kaneza Nantulya, directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch (HRW), dans un communiqué. Contacté, le ministère camerounais de la communication n’a pas souhaité s’exprimer. A la tête du pays depuis quatre décennies, Paul Biya, 92 ans, a de son côté précisé ses intentions. « J’entends continuer à tout mettre en œuvre pour (…) faire naître une véritable nation camerounaise, fière de sa diversité et jalouse de son unité », a-t-il déclaré sur le réseau social X le 23 avril.