Abdoullakh Anzorov avait 6 ans lorsqu’il a quitté la Russie avec ses parents pour s’installer en France. Il en avait 18 lorsqu’il a décapité Samuel Paty, le 16 octobre 2020, avant d’être abattu par les policiers sur lesquels il s’était rué, les armes à la main. Que s’est-il passé, durant ces douze années passées sur les bancs de l’école de la République, pour que ce jeune réfugié tchétchène en vienne à assassiner un professeur d’histoire-géographie ?
Ni lui ni les membres de sa famille – la plupart ont quitté la France après l’attentat – n’ont pu apporter d’éléments de réponse devant la cour d’assises spéciale de Paris. Mais deux témoins, un enquêteur et une chercheuse, entendus durant la deuxième semaine du procès de l’assassinat de Samuel Paty, ont analysé le « court-circuit » identitaire qui a pu alimenter pendant des années, comme dans une cocotte-minute, son explosion meurtrière.
Comme nombre de réfugiés tchétchènes, Abdoullakh Anzorov est l’héritier de deux décennies de guerre d’indépendance contre l’armée russe, qui ont transformé la République tchétchène, où il est né, en terre de désolation et en champ d’expérimentation djihadiste. « C’est une population qui a connu beaucoup de conflits, beaucoup de traumatismes qui vont avoir un impact sur les passages à l’acte actuels », a expliqué à la cour l’historienne Anne-Clémentine Larroque, qui a travaillé sur ce dossier comme assistante spécialisée pour la justice antiterroriste.
« Une peur de l’acculturation »
Selon les informations fournies par la famille, le père d’Abdoullakh Anzorov aurait été détenu par les autorités russes en 2005 pour avoir hébergé des combattants djihadistes, rapporte un enquêteur de la sous-direction antiterroriste (SDAT). Et c’est pour fuir les persécutions du régime prorusse de Ramzan Kadyrov que la famille s’est installée en 2008 en France, où elle a obtenu le statut de réfugié trois ans plus tard.
Le père, la mère et leurs fils s’installent à Evreux (Eure) en 2012. La famille, refermée sur elle-même et pratiquant un islam rigoriste, détonne, y compris au sein de la diaspora tchétchène. L’un des accusés, Azim Epsirkhanov, le meilleur ami du tueur et lui-même fils de réfugiés tchétchènes, a raconté à la barre son étonnement lorsqu’il se rendait au domicile des Anzorov : les plus jeunes enfants pratiquaient assidûment la religion, la musique était proscrite et la mère avait interdiction de quitter l’appartement seule. « C’était très différent de chez moi », a-t-il précisé.
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