Un groupe indépendant documentant les violations au Soudan a accusé mardi 25 mars l’armée d’avoir mené une frappe contre un marché d’une ville aux mains des paramilitaires, qui pourrait s’avérer l’une des plus meurtrières de la guerre. L’ONU s’est dite « très inquiète » des « attaques persistantes contre les civils » au Soudan, après cette nouvelle frappe aérienne qui aurait fait « des dizaines de victimes » à Tora, dans l’Etat du Darfour du Nord, dans l’ouest du pays.
Le groupe Emergency Lawyers, composé d’avocats bénévoles, ainsi que les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), en guerre contre l’armée depuis avril 2023, ont fait état de centaines de morts dans cette attaque perpétrée lundi sur le marché de Tora. « Nous avons compté 270 corps enterrés et 380 blessés », a déclaré de son côté à l’Agence France-Presse (AFP) un habitant de Tora et un autre a confirmé le bilan. Ces deux témoins ont refusé d’être identifiés pour des raisons de sécurité.
Selon le collectif d’avocats prodémocratie, « les avions de l’armée soudanaise ont perpétré un horrible massacre en frappant aveuglément le marché de Tora (…), tuant des centaines de civils et en blessant grièvement des dizaines ». Les paramilitaires ont également imputé à l’armée la responsabilité du « massacre ».
L’AFP n’était pas en mesure de vérifier les chiffres avancés par le collectif, ni de joindre les médecins sur place en raison d’une coupure des communications au Darfour. L’armée n’a pas confirmé explicitement la frappe, mais a démenti viser des civils.
« Accusations mensongères »
« Nous veillons dans les frappes aériennes à respecter les règles d’engagement conformément au droit international et nous ne pouvons en aucun cas viser des civils innocents », a déclaré à l’AFP le porte-parole de l’armée, Nabil Abdallah, qui a dénoncé des « accusations mensongères ».
Une association de défense des droits humains, la Coordination générale des camps de déplacés et de réfugiés du Darfour, a, elle, condamné un « bombardement délibéré », constituant un « crime contre l’humanité ». Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux, que l’AFP n’a pas pu vérifier, laissent apercevoir des corps carbonisés et des piles de débris fumantes.
Déclenchée en avril 2023, la guerre au Soudan oppose les paramilitaires des FSR du général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », à l’armé régulière du général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, deux anciens alliés devenus rivaux. Elle a fait des dizaines de milliers de morts, déraciné plus de 12 millions de personnes et provoqué une crise humanitaire majeure.
En raison d’un effondrement presque total du système de santé au Soudan, il est difficile de confirmer les bilans. L’ancien envoyé spécial des Etats-Unis au Soudan, Tom Perriello, avait déclaré en mai 2024 que, selon certaines estimations, la guerre aurait fait 150 000 morts.
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En décembre, le groupe d’avocats a signalé une frappe similaire de l’armée sur un marché de l’Etat du Darfour du Nord ayant tué plus de 100 personnes. Les Nations unies (ONU) ont par la suite confirmé un bilan « d’au moins 80 » morts.
« Escalade des attaques »
La vaste région du Darfour a été le théâtre de certaines des pires atrocités de la guerre : des bombardements avec des barils d’explosifs sur des zones civiles, des attaques des paramilitaires sur des camps de déplacés touchés par la famine et des violences ethniques.
L’armée conserve sa prédominance dans les airs grâce à son aviation, qui frappe régulièrement les positions des paramilitaires. El-Fasher, la capitale du Darfour du Nord, située à 40 kilomètres au sud de Tora, est la seule capitale provinciale de la région du Darfour qui échappe aux FSR. Les paramilitaires assiègent El-Fasher depuis dix mois et mènent régulièrement des attaques contre les camps de déplacés l’entourant.
Selon les analystes, la stratégie des paramilitaires pourrait consister à maintenir l’armée occupée à Khartoum tout en s’efforçant de consolider leur emprise sur le Darfour. Vendredi, l’armée a repris le palais présidentiel à Khartoum et a depuis lancé une « opération de nettoyage » visant à chasser les paramilitaires des principales institutions de la capitale.
L’ONU s’est aussi inquiétée d’une « escalade des attaques » contre des zones densément peuplées à Khartoum. Depuis le début de la guerre, les deux belligérants sont accusés de crimes de guerre contre les civils, notamment les bombardements aveugles de marchés et de quartiers habités.