LETTRE DE BAMBAN
Alice Guo, 38 ans, la maire de Bamban, petite ville de 80 000 habitants à deux heures au nord de Manille, est chinoise. Et elle a joué un rôle central dans la mise en place d’un gigantesque centre de fraude en ligne chinois dans sa ville. Ce scandale et ses multiples ramifications, sur fond de conflit sino-philippin en mer de Chine du Sud, tiennent en haleine le public philippin depuis six mois.
Tout commence en mars, quand la police antigang philippine, la Commission présidentielle de lutte contre la criminalité organisée (Paocc), mène un raid nocturne sur un vaste complexe de bureaux à Bamban. Un jeune Vietnamien portant des traces de coups s’en est enfui auparavant. Et l’ambassade de Malaisie a été alertée par un de ses ressortissants, qui affirme y être retenu contre son gré.
Les policiers découvrent 678 employés – dont 383 Philippins, 218 Chinois, cinquante-cinq Vietnamiens et seize Malaisiens – dans le complexe appelé Baofu Land, où opère une société détentrice d’une licence POGO (Philippine Offshore Gaming Operator), c’est-à-dire de jeux offshore. Ces casinos en ligne à destination de joueurs étrangers, en particulier chinois, autorisés à l’initiative du président Rodrigo Duterte (2016-2022) à partir de 2016, cachent, surtout depuis la pandémie, des opérations de cyberscam sous le contrôle des mafias chinoises, un fléau en Asie du Sud-Est : des victimes sont harponnées sur des sites de rencontres et incitées à investir dans des cryptomonnaies, avant de tout perdre. Les « petites mains » de ces activités criminelles sont en outre séquestrées, et pour certaines torturées.
Smartphones, cartes SIM, chambre de torture…
Le POGO de Baofu Land, déjà la cible d’une perquisition un an plus tôt pour irrégularités, semble bien être de ceux-là. Dans les bureaux, les policiers découvrent des centaines de smartphones, de cartes SIM ainsi qu’une chambre de torture. La plupart des employés chinois n’ont pas de permis de travail. Plusieurs ont subi des sévices.
Quand Le Monde s’est rendu sur place en juin, on apercevait, derrière les portes des vitrines sous scellés, des lampions chinois et des inscriptions en mandarin. Le complexe, tout neuf, s’étend sur 7 hectares, compte trente-deux bâtiments de deux ou trois étages et une piscine de 50 mètres de long. Surtout, il est séparé par un terrain vague du bâtiment de la mairie, une sorte de salle de mariage de deux étages peinte en rose.
C’est là qu’officiait Alice Leal Guo, élue en 2022. Très vite, il apparaît que tout ou presque, dans les comptes de Baofu Land, porte la trace, et le nom, de la jeune édile. C’est elle qui a investi en 2019 dans le terrain pour construire le complexe avec des associés chinois. Elle aussi qui avait obtenu sous son prédécesseur une première licence POGO. Elle s’est retirée de cette société pour se porter candidate à la mairie, mais des factures sont encore à son nom, ainsi qu’un véhicule trouvé sur place. Elle est aussi à la tête d’une dizaine de sociétés – élevage de porcs, abattoir, boucherie, immobilier – et a possédé un hélicoptère et plusieurs voitures de luxe.
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