Grace, nouvelle pièce de Benjamin Millepied d’après l’album éponyme du chanteur et compositeur Jeff Buckley (1966-1997), porte un sous-titre : « Jeff Buckley Dances ». Le contenu du spectacle est dit : chorégraphier les chansons de l’artiste américain mort tragiquement noyé dans le Mississippi tout en réveillant son fantôme. Il danse, Jeff ! Incarné par Loup Marcault-Derouard, il ressuscite sur le plateau, joue de la guitare. Il retraverse sa vie depuis sa naissance en Californie jusqu’à sa disparition dans une intense flambée émotionnelle.
Cette production ambitieuse soutenue par des vidéos réalisées en direct par Olivier Simola a enthousiasmé les 3 500 spectateurs de La Seine musicale, jeudi 7 novembre. Est-ce l’impact combiné de Buckley et de Millepied, l’attrait rassembleur et grand public d’une création chantée-dansée ? Les places se sont arrachées. Deux dates ont été ajoutées in extremis, mi-septembre, aux quatre initialement prévues. D’ici à dimanche 10 novembre, 20 000 personnes auront vu Grace, qui sera à l’affiche les 17 et 18 juin des Nuits de Fourvière, à Lyon.
Pour arpenter la trajectoire de Buckley, Benjamin Millepied, dont la musique est toujours le tremplin, s’appuie sur les 11 titres de l’album enregistré en 1994 par l’artiste. Fan du musicien qu’il découvre à New York dans les années 1990, il a ajouté à la bande-son une douzaine d’autres inédits, sortis après sa disparition, ainsi que des textes et des extraits de son journal intime. Le ton est rock, écharpé, mélancolique, grave. Les thèmes existentiels de l’identité, l’amour, la peur se colorent au noir, abordant des rives de plus en plus sombres au fil du spectacle.
Ecriture agile
Cette mosaïque de sons, de voix, de gestes et d’images habille Grace. Dix interprètes, acteurs, chanteurs et danseurs, en articulent les différents paramètres. Parmi eux, Ulysse Zangs, également guitariste, a conçu des environnements musicaux qui contribuent à entretenir l’atmosphère du propos. Devant un écran immense placé au centre de la scène, un décor mobile de panneaux rapidement déménagés par le groupe fait apparaître des architectures légères. Une chambre surgit, un lit bascule.
La trame narrative de Grace, sur laquelle plane la voix définitivement envoûtante de Buckley, est soufflée par l’écriture agile et versatile de Millepied. Happée dans le vent de sa course, elle glisse et vite, vivant élastique rebondissant dans l’espace. Les chemises et les robes volent. De nombreux duos, comme souvent chez Millepied, ponctuent les tableaux d’ensemble toujours enlevés. Le naturel savant du style multifacette du chorégraphe, entre classique vrillé et swing jazz, entretient le jet épidermique du mouvement. Mais laisser filer la virtuosité prend parfois des airs de facilité rattrapée par ce désir que la danse ressemble à la vie et inversement.
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