« Que celui qui a de l’intelligence déchiffre le nombre de la Bête ; c’est le nombre d’un homme et ce nombre est 666. » Le curieux objet aujourd’hui réédité n’est pas le plus célèbre album de rock à s’être référé dans son titre au verset 18, chapitre 13, de l’Apocalypse de Jean. Dix ans avant The Number of the Beast (1982), du groupe britannique de metal Iron Maiden, avait paru 666 (The Apocalypse of John, 13/18), projet eschatologique signé Aphrodite’s Child. Qui n’avait pas porté chance à ces quatre cavaliers grecs, puisque leur collectif avait alors déjà vécu, miné par le conflit de personnalités entre deux stars en devenir : le sorcier des claviers Vangelis Papathanassiou (1943-2022) et le chanteur et bassiste Demis Roussos (1946-2015).
Auparavant, les musiciens avaient fui la dictature des colonels pour connaître avec le hit Rain and Tears un succès aussi fulgurant qu’impromptu. Les Athéniens, en effet, n’atteignirent pas leur destination londonienne, bloqués à Paris en mai 1968 par les grèves – ou des formalités administratives, selon les versions. Ils ne perdirent pas leur temps, puisqu’ils en profitèrent pour graver le slow reprenant la progression du Canon de Pachelbel (avec un texte de Boris Bergman, futur parolier d’Alain Bashung), et leur carrière fut lancée en Europe. Aphrodite’s Child s’imposa dans une veine pop « baroqueuse », voisine des New-Yorkais The Left Banke et des Londoniens Procol Harum, avec un premier album au titre déjà apocalyptique, End of the World, suivi en 1969 d’It’s Five O’Clock, autre numéro 1 en France et en Italie.
Le conflit d’orientation esthétique qui sommeillait entre Vangelis et Roussos devait ensuite s’intensifier. Le premier, seul compositeur d’Aphrodite’s Child, se fit remplacer pour les tournées afin de se concentrer pleinement sur le travail en studio, déjà tourné vers les images puisqu’il enregistra dès 1970 L’Apocalypse des animaux pour la série documentaire de Frédéric Rossif. Le second, avec sa voix puissante de ténor, pouvait envisager le destin en solitaire qui serait le sien dans la variété.
Risque blasphématoire
De fait, à l’été 1971, Demis Roussos apparaît sans ses camarades sur les plateaux de télévision pour présenter son premier single, We Shall Dance. Aphrodite’s Child n’a pas survécu à l’expérience de 666 et aux trois mois passés aux studios parisiens Europa Sonor à l’hiver 1970. A l’origine, il y a la rencontre de Vangelis avec le réalisateur Costas Ferris. Les compatriotes s’entendent autour d’un album concept, exercice qu’a stimulé le récent triomphe du Tommy des Who. Opéra-rock et religiosité sont en vogue, car Andrew Lloyd Webber et Tim Rice viennent, de leur côté, de livrer Jesus Christ Superstar. A la Passion, nos deux Grecs préféreront toutefois l’Apocalypse de Jean de Patmos, un choix logique puisque l’auteur doit son nom à cette île du Dodécanèse où il affirme résider.
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