Le théâtre de Maurice Maeterlinck, avec ses ogres fragiles, ses princesses recluses, sa simplicité apparente, recouvrant un monde d’eaux dormantes et insondables, ne se laisse pas facilement attraper. De loin en loin, un metteur en scène, de préférence du genre expérimentateur, se hasarde vers ces terres brumeuses, flottant entre rêve et réel. C’est le cas aujourd’hui de Tommy Milliot, qui livre au Théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, sa vision de L’Intruse et des Aveugles, deux courtes pièces écrites en 1890, appartenant à une trilogie de la cécité et de la mort.
Dans L’Intruse, une famille est réunie autour d’une table, par un soir qui semble d’abord ordinaire. Dans une chambre voisine, une jeune femme dort, après avoir accouché d’un enfant qui n’a pas encore poussé un cri. « On dirait un enfant de cire », dit l’un d’eux. L’inquiétude gagne peu à peu, alors que l’aïeul de la famille, tel un moderne Tirésias, interprète les signes qui annoncent les trois coups du destin.
Dans Les Aveugles, un groupe de six femmes et six hommes non-voyants se retrouvent perdus sur une île, au cœur d’une forêt. Le prêtre qui les a menés là a disparu, sans qu’ils sachent s’il est mort ou s’il les a abandonnés. Egarés, sans repères, les aveugles se retrouvent dans la nudité de leur condition. Comme l’aïeul de L’Intruse, ils écoutent les signes : « Je crois qu’il y a des étoiles ; je les entends », dit l’un d’eux. « Il y a un tragique quotidien qui est bien plus réel, bien plus profond et bien plus conforme à notre être véritable que le tragique des grandes aventures », écrivait Maeterlinck. Et c’est bien ce tragique quotidien, qui annonce celui de Beckett, qui est à l’œuvre ici.
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