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Les avis de recherche dans le métro sont rarissimes. Bernard-Marie Koltès en voit un, placardé à la station Anvers, à Paris, en février 1988. Il s’arrête, regarde. Une grande affiche, avec une photo en noir et blanc. Pas très nette. Le visage d’un jeune homme au regard pénétrant, insaisissable. Le texte précise qu’il est recherché pour le meurtre d’un inspecteur principal et pour la tentative d’assassinat d’un inspecteur divisionnaire. Il y a aussi son signalement, mais pas son nom : la police ne le connaît pas. Que se passe-t-il dans la tête de Koltès quand il voit cette affiche ? « Je ne sais pas », dira-t-il.
Quelques semaines plus tard, alors qu’il regarde les informations à la télévision, il voit de nouveau le jeune homme. Filmé à Trévise, en Italie, sur le toit d’une prison, d’où il nargue et insulte journalistes et policiers. Il se déshabille, montre ses muscles, prend des poses de culturiste. Et le voilà qui saute, en direct. Il tombe dans le vide. Cette fois, Bernard-Marie Koltès sait. Il écrira une pièce. Vite. Il est pressé, il a le sida.
Il demande à ses amis de chercher de la documentation. Il y en a peu. Quelques coupures dans Libération sur la cavale d’un « tueur fou ». Les quelques minutes vues à la télévision. Il faudra du temps pour que soit levée l’énigme du meurtrier recherché par toutes les polices d’Europe. Il s’appelle Roberto Succo. Né en avril 1962, à Mestre, près de Venise, il est le fils unique d’un père policier et d’une mère tricoteuse. Le 8 avril 1981, il les tue.
Roberto Succo a 19 ans. Il s’enfuit. Arrêté trois jours plus tard, déclaré schizophrène par les psychiatres, il n’est pas jugé parce que « incapable d’entendre et de vouloir », selon la justice italienne, mais condamné à dix ans d’internement dans un hôpital psychiatrique. Il passe le bac et obtient, en 1985, un régime de semi-liberté pour suivre des études de géologie. Il doit rentrer tous les soirs, devrait être accompagné, mais on lui fait confiance. Un jour, il ne rentre pas.
Le 17 mai 1986, Roberto Succo commence sa cavale. Il part pour Toulon, vit de vols et de petits boulots. Il va souvent en Savoie. Le 3 avril 1987, près d’Aix-les-Bains, il tue le policier André Castillo et s’enfuit avec l’arme de ce dernier. Le 27 avril, une jeune femme, France Vu-Dinh, disparaît au bord du lac d’Annecy. Son corps ne sera jamais retrouvé. Le même jour, un médecin de 27 ans, Michel Astoul, disparaît près de Sisteron. Son corps décomposé est retrouvé près de Chambéry. Il a été abattu avec l’arme d’André Castillo. Le 27 octobre, Succo viole et tue Claudine Duchosal, 40 ans, au bord du lac d’Annecy. Le 28 janvier 1988, il abat l’inspecteur Morandin, à Toulon. Et ce, sans compter d’autres violences et agressions, sur l’axe Toulon-Savoie-Suisse, pays où il se réfugie un moment.
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