D’un budget d’austérité proposé par un premier ministre de droite à un texte proche du programme de la gauche… Après plusieurs semaines de débats houleux et d’alliances politiques inattendues, les députés doivent se prononcer, mardi 12 novembre, vers 16 h 30, sur le volet « recettes » du budget 2025 de l’Etat. Un texte réécrit en profondeur par les amendements des députés – Nouveau Front populaire (NFP) et Rassemblement national (RN) en tête –, qui n’a plus grand-chose à voir avec la copie rédigée par l’équipe de Michel Barnier.
Sur quoi porte le vote ?
Tous les ans, à l’automne, le Parlement débat du budget de l’année suivante. Ou plutôt des budgets, car la discussion est scindée en deux textes distincts :
- le projet de loi de finances (PLF), qui programme le budget de l’Etat (dépenses des ministères, niveau des impôts, etc.) ;
- le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui fixe le budget des différentes branches de la « sécu » (Assurance-maladie, vieillesse, famille, etc.)
Chacun de ces deux textes est lui-même divisé en deux parties, examinées successivement :
- le volet « recettes », qui fixe les objectifs de toutes les entrées d’argent (impôts, cotisations, etc.) ;
- le volet « dépenses », qui autorise toutes les sorties d’argent (paiement des fonctionnaires, services publics, remboursements de médicaments, etc.)
C’est donc sur le volet « recettes » du PLF que les députés doivent se prononcer mardi.
Que contient le texte qui va être soumis au vote ?
- Un projet gouvernemental contesté
Comme il est d’usage, le PLF 2025 a été préparé par le gouvernement avant d’être soumis au Parlement pour d’éventuelles modifications.
Confronté à un dérapage du déficit public, le premier ministre, Michel Barnier, a décidé de présenter un budget de rigueur prévoyant 60 milliards d’euros d’économies par rapport à 2024. Pour cela, il entendait à la fois baisser les dépenses publiques et augmenter les recettes, en alourdissant temporairement la fiscalité sur les entreprises et sur les ménages.
Mais plusieurs groupes politiques ont rapidement manifesté leur opposition au projet gouvernemental. Ainsi, les députés macronistes ne voulaient pas entendre parler de hausse des impôts ou des cotisations, tandis que la gauche les jugeait insuffisantes. Tous ont donc profité des débats en commission des finances et en séance publique pour faire évoluer le texte, dont la version qui sera soumise au vote, mardi, est bien différente de la copie gouvernementale.
- Les mesures gouvernementales conservées
Les députés ont validé plusieurs mesures fiscales du PLF 2025 « version Barnier », parfois en les amendant légèrement :
– la surtaxe exceptionnelle sur les très hauts revenus (pérennisée, alors qu’elle était pensée comme provisoire) ;
– la surtaxe exceptionnelle des grandes entreprises (renforcée par rapport à la version gouvernementale) ;
– la taxe sur les rachats d’actions (renforcée par rapport à la version gouvernementale) ;
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– le renforcement de la taxation des billets d’avion (limité à un an, avec des exemptions pour les liaisons aériennes avec la Corse et l’Outre-mer) ;
– un renforcement de la fiscalité sur les meublés de tourisme de type Airbnb.
- Les mesures ajoutées au Parlement
Grâce à la faible assiduité des députés du « socle commun », notamment macronistes, le NFP a pu faire passer plusieurs amendements issus de son programme lors des débats au Parlement :
– un impôt sur le patrimoine des milliardaires dit « taxe Zucman », du nom de l’économiste Gabriel Zucman, qui l’a préconisée ;
– une taxe sur les superdividendes des grands groupes comme Total, Sanofi ou LVMH ;
– un « impôt universel » sur les multinationales ;
– un renforcement de la « taxe Gafam » sur les géants du numérique ;
– un renforcement de la taxe sur les transactions financières ;
– un retour sur la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ;
– un malus écologique sur les deux-roues bruyants.
Le RN a pour sa part fait adopter un amendement consistant à assujettir à l’impôt les filiales européennes des groupes français, en incluant les Etats membres de l’Union européenne dans le dispositif de rapatriement des bénéfices, ainsi qu’une extension aux Gafam de la taxe sur le chiffre d’affaires des opérateurs de communications électroniques.
Plusieurs amendements ont en outre été adoptés grâce à un consensus transpartisan, comme une taxe kilométrique d’« harmonisation environnementale », ou encore une taxe pénalisant les entreprises qui ne respectent pas la féminisation de leurs instances de direction.
- Les mesures gouvernementales écartées
Enfin, lors des discussions parlementaires, les députés ont supprimé plusieurs mesures du PLF 2025 « version Barnier » au nom de la justice fiscale et de la défense des classes moyennes :
– la hausse de la taxe sur l’électricité ;
– l’alourdissement du malus écologique sur les véhicules ;
– l’augmentation des taxes pour les chaudières à gaz.
- Un équilibre financier chamboulé
Le projet initial du gouvernement Barnier prévoyait une augmentation des prélèvements obligatoires de 24 milliards d’euros en 2025. Les amendements votés par les députés ont modifié sensiblement ce chiffre : 30 milliards d’impôts supplémentaires ont été votés et 20 milliards ont été supprimés, d’après une note commandée par le rapporteur général du budget, le centriste Charles de Courson, diffusée le 31 octobre – c’est-à-dire avant même la dernière semaine d’examen.
Le texte final a-t-il une chance d’être adopté par le Parlement ?
Malgré les satisfecit de la gauche et du RN, il n’est pas garanti que l’ensemble de ces nouvelles hausses d’impôts imposées contre l’avis du gouvernement soient finalement validées.
En effet, il faut désormais que le volet « recettes » du PLF dans son ensemble soit approuvé par les députés lors du vote solennel du 12 novembre. Et il est possible que les députés du bloc gouvernemental (Les Républicains, Renaissance, Horizons et MoDem) votent contre le projet pour marquer leur désapprobation du nouvel équilibre imposé par la gauche et le RN.
En cas de rejet, les sénateurs examineraient le budget en repartant de la version initiale du gouvernement. Tout pourrait alors se jouer en commission mixte paritaire (CMP), une instance qui réunit sept députés et sept sénateurs pour trouver un compromis en cas de désaccord à l’issue de l’examen d’un texte par l’Assemblée nationale et le Sénat. Disposant d’une assise plus confortable au Sénat, dominé par la droite, le gouvernement pourrait alors rétablir un projet plus proche de sa copie initiale.
Mais il n’est même pas certain que l’examen du projet de budget en première lecture puisse être achevé dans le délai de quarante jours imposé par la Constitution, soit d’ici au 21 novembre. Pour sortir de l’impasse, le gouvernement pourrait être contraint de recourir à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet d’adopter un texte sans vote.
Michel Barnier serait alors libre de choisir lui-même la version du PLF à soumettre au 49.3, en puisant (ou pas) dans les amendements déposés par les parlementaires au cours des débats budgétaires. Il lui faudrait alors trouver un délicat équilibre entre la priorité qu’il s’est donnée – économiser 60 milliards d’euros – et ménager la susceptibilité d’une Assemblée nationale qui ne lui est pas acquise et peut décider à n’importe quel moment de renverser son gouvernement.