Au 7ᵉ jour de la compétition, l’Iranien Jafar Panahi a placé la barre très haut avec « Un simple accident ».
Un thriller psychologique haletant qui transpire la haine de son auteur pour le régime de Téhéran.
Ce formidable cinéaste, qui a encore bravé les interdits pour tourner, devrait être très haut au palmarès.
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Festival de Cannes 2025 : des films, des stars et de l’engagement
Heureux présage ? Alors qu’il pleuvait des cordes sur la Croisette depuis le début de la matinée, un rayon de soleil a percé les nuages lors de la montée des marches de l’équipe d’Un simple accident, le nouveau film du cinéaste iranien Jafar Panahi. Au beau milieu d’une compétition morose, voire déprimante, voici le premier long-métrage en compétition qui semble faire enfin l’unanimité, dans le bon sens, auprès de festivaliers fourbus… et soudain ragaillardis par une magistrale leçon de cinéma.
Tout débute à bord d’une berline, sur une route de campagne, à la nuit tombée. Alors qu’il ramène son épouse enceinte et leur fille en bas âge à la maison, le conducteur percute un chien errant et le tue sur le coup. Son véhicule endommagé, la petite famille décide de s’arrêter dans le seul garage aux alentours. L’employé qui se trouve là accepte de les dépanner et prévient Vahid, son collègue, affairé dans l’arrière-boutique.
Une géniale réflexion sur la vengeance et le pardon
Lorsqu’il entend le conducteur avancer dans sa direction, ce personnage d’apparence débonnaire, plombé par un mal de dos chronique, éprouve une peur panique. Ni une, ni deux, le voilà qui déguerpit et qui se cache à bonne distance pour observer ses visiteurs. Le lendemain, en plein Téhéran, il assomme le père à coup de pelle, l’embarque dans sa camionnette et l’emmène dans le désert pour l’enterrer vivant.
Dans le garage, Vahid a en effet reconnu le bruit de la prothèse du bourreau qui l’a torturé pendant des jours en prison. Il n’a jamais vu son visage. Mais cette horrible « couic-couic » le hantera toute sa vie. Bien sûr, le prisonnier nie en bloc, et sème le doute dans le cerveau du malheureux ravisseur qui décide de rentrer en ville pour demander l’avis d’autres victimes du régime, afin d’être sûr qu’il a kidnappé la bonne personne…
Depuis que le regretté Abbas Kiarostami a remporté la Palme d’or en 1997 avec Le goût de la cerise, une nouvelle génération de cinéastes iraniens est parvenue à conquérir les cinéphiles du monde entier tout en résistant à un pouvoir sans cesse plus radical. Jafar Panahi, qui fut son assistant, en a payé le prix fort ces dernières années avec plusieurs condamnations à de la prison ferme pour « propagande contre le régime », assorties d’interdictions de tourner et de sortir de son pays, tandis qu’il recevait diverses récompenses à Cannes, Venise et Berlin, livrant son travail à l’aide d’une simple clé USB.
C’est encore une fois dans la clandestinité la plus totale qu’il a tourné Un simple accident, l’une des œuvres les plus accessibles de sa carrière puisqu’il s’agit d’un thriller psychologique mené de façon magistrale, l’humour noir venant sans cesse contrebalancer la douleur des personnages. Soyons clairs : ce film transpire la haine de son auteur contre les geôliers qui l’ont poussé à entamer une grève de la faim lors de son dernier séjour derrière les barreaux. Mais c’est avant tout une géniale réflexion sur la vengeance et le pardon qui fait écho à tous les conflits actuels, au Proche-Orient et ailleurs.
Dans la forme, le meilleur film de Cannes 2025 est aussi l’un des plus sobres et efficaces, démontrant qu’il n’y a pas besoin d’assommer le spectateur avec un montage épileptique et une bande-son assourdissante pour le scotcher à son siège. Précise, élégante, poétique par moments, et toujours à bonne distance, la mise en scène de Jafar Panahi nous implique dans l’intrigue de bout en bout jusqu’au plan final le plus crispant qu’il nous ait été donné de voir depuis, depuis… depuis quand ?
Évidemment, Juliette Binoche a tourné avec Abbas Kiarostami, décrochant le prix d’interprétation pour Copie Conforme en 2010. Évidemment, elle est sensible à la dimension politique du cinéma et évidemment elle est consciente de la portée d’une Palme éventuelle pour la vie de son auteur. Et un an après le « prix spécial » venu récompenser Les Graines du Figuier Sauvage de Mohammad Rasoulof — une erreur historique pour beaucoup ici à Cannes — on voit mal le jury de cette 78ᵉ édition passer à côté d’un tel chef-d’œuvre.
>> Un simple accident de Jafar Panahi. Avec Vahid Mobasheri, Maria Afshari, Ebrahim Azizi. 1h41. En salles le 10 septembre