Il n’est pas encore 8 h 30 au clocher de l’église que, déjà, Hugo Mocques a fini sa première journée de travail. Comme tous les matins, l’épicier de Bierné (Mayenne), qui tient le dernier commerce de bouche de la commune, a publié sur TikTok une de ces vidéos chantantes dont le succès dépasse les frontières. Aujourd’hui, sur un air de I Adore You (2024), un hit house signé DJ Hugel, il a vanté les mérites d’une eau minérale magnésienne naturellement pétillante surgie des monts d’Auvergne. Hier, le marchand célébrait la gloire de confiseries dragéifiées au son de Bamboleo, tube estival des Gipsy Kings, millésime 1987.
Et demain ? Mystère. Seule certitude : ses fans du Net, qui se comptent par centaines de milliers, trépignent. Michel aussi. Debout sur le trottoir maigre de la rue d’Anjou, que le soleil ne se décide pas à réchauffer, ce client guette l’ouverture de la supérette Vivéco. Il vient chercher sa baguette tradition. Il va falloir lui expliquer que le boulanger de Bouère (Mayenne) a pris un peu de retard et qu’aujourd’hui il devra se contenter d’un pain blanc.
Ici, à Bierné, non loin d’Angers, de Laval et du Mans, mais quand même en pleine campagne, le global (les réseaux sociaux) et le local (les clients du coin à conquérir) entretiennent, par l’entremise d’un commerçant 3.0 de 51 ans, un dialogue aussi improbable que fragile, qui doit autant au hasard qu’à l’intuition et à la fantaisie. Le hasard : « En 2014, j’ai fait un burn-out. J’ai quitté mon boulot. Cinq ans plus tard, j’ai repris l’épicerie du village où je vivais. Une amie m’avait dit : “Tu aimes les gens. C’est fait pour toi.” » L’intuition : « Il y a trois ans, je ne connaissais rien à Internet. Mais je sentais que cette histoire de réseaux sociaux m’aiderait à me distinguer. J’ai demandé conseil à mes deux enfants. Depuis, je suis présent sur TikTok, Instagram et Facebook. » La fantaisie : « J’aime chanter. Plus jeune, j’ai gagné le concours [de chant] de Bouloire [Sarthe], et je me suis fait remarquer à Beaufort-en-Vallée [Maine-et-Loire]. Donc, j’ai eu l’idée de parodier a cappella des titres connus en les détournant pour vendre mes produits et d’en diffuser les clips sur le Web. »
Il vous reste 77.79% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
