Plus un souffle ne s’élève des murs de la prison d’Evin, anéantie sous le fracas aveugle des bombes israéliennes. Comment le pourrait-il ? Il n’y reste ni eau, ni infirmerie, ni administration, ni poste de garde. La grande porte, autrefois tant redoutée, pulvérisée, dissoute dans l’air. Les deux premiers étages de l’aile 4, celle des prisonniers politiques, ont été soufflés par l’explosion. Le poste de garde, anéanti.
Tout comme la bibliothèque, ce trésor de la connaissance patiemment accumulé, livre par livre, au fil de décennies de résistance. Les œuvres de Platon et d’Aristote, les vers des poètes persans, la littérature classique, balayés, enfouis sous les gravats. Même Le Petit Prince, seul ouvrage en français, celui qui m’avait accueilli comme un ami au sortir de l’enfer de la section 209, gît désormais sous les décombres.
Parmi les morts, certains des pires interrogateurs, artisans de la torture et de l’humiliation. Ils ne seront pas regrettés. Et pourtant, doit-on se réjouir de leur perte ? Ne laissent-ils pas, eux aussi, derrière eux des mères, des enfants, des visages endeuillés ? Aucun prisonnier politique ne souhaitait leur mort. Nous ne leur offrons pas notre haine. Nous leur abandonnons notre pitié.
Piégés dans un système abhorré
Au cœur même de l’impact, le personnel médical a été fauché. Je me souviens du regard compatissant du docteur Mossaheb, de la bienveillance des infirmiers, de leur courage discret lorsqu’ils transmettaient des nouvelles clandestines aux familles de disparus.
De nombreux gardes ont péri. De jeunes garçons souvent, dont certains me confiaient leur honte de m’escorter devant un juge criminel. Des enfants piégés dans un système qu’ils abhorraient, sans issue dans une économie en ruine.
Et qu’est-il advenu de M. Ahmadi, le bouillonnant responsable des admissions, chaleureux et profondément humain ? Vit-il encore ? Ou son sourire a-t-il, lui aussi, été enseveli dans la poussière ?
Que croyait-on libérer en bombardant Evin ? Sinon plus encore de colère et de douleur ?
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