OCS – SAMEDI 8 MARS À 20 H 50 – FILM
Avec seulement sept longs-métrages en vingt-six ans de carrière (presque autant de courts et moyens), Kelly Reichardt, née en 1964 et affiliée au circuit indépendant, n’en compte pas moins parmi les plus grands cinéastes américains d’aujourd’hui. Certaines femmes marque l’apogée d’un art de l’espace et du regard dont il faut ici louer l’épure, l’intensité et la précision, le souci de montrer plutôt que de raconter, de faire exister des personnages en prêtant attention à leur respiration secrète.
Le récit, inspiré de trois nouvelles de l’écrivaine Maile Meloy, dresse côte à côte les magnifiques portraits de trois femmes, sculptés dans la matière même du quotidien. Laura Wells (Laura Dern) est une avocate aux prises avec un client collant, entêté dans l’idée de traîner en justice un ancien employeur l’ayant licencié après un accident du travail. Gina Lewis (Michelle Williams), mère de famille, se pique de construire une maison avec les vestiges d’une école d’antan gisant sur la propriété d’un vieux fou. Jamie (Lily Gladstone), palefrenière d’origine indienne, noue une relation hasardeuse avec Beth Travis (Kristen Stewart), une jeune juriste débordée par la précarité.
Reichardt ne vise pas tant à faire converger artificiellement leurs destinées qu’à saisir le morcellement de l’Amérique rurale et le désenchantement des vies qui l’habitent. A Livingston, petite ville d’allure banale et fonctionnelle du Montana, peuplée d’existences qui paraissent noyées dans le territoire, perdues et isolées dans son immensité, chacune de ces femmes mène sa barque parmi des traces de mythologies et la mémoire dévitalisée de grands récits qui n’ont plus cours.
Légende de la mobilité
Laura, confrontée à une prise d’otages sans héroïsme, ne reconnaît que trop tard le défaut de la loi et le préjudice réel de son client. Gina fonde un foyer comme les pionniers avaient fondé un pays, mais pour une famille aux liens distendus. Jamie et Beth frayent avec la légende de la mobilité et des grands espaces, que la nécessité de travailler rend problématiques. Ici et là, des Indiens costumés dans un centre commercial, une panoplie de cow-boy en vitrine achèvent de folkloriser le souvenir de l’« Americana ».
La mise en scène s’attache à l’instable présence des êtres, à leur difficulté à tenir ensemble dans un même espace, et organise leur séparation à travers un système de parois, de reflets, de surfaces, comme autant d’entraves à leur réunion possible.
Le plus beau reste encore la façon dont chaque histoire se conclut sur un regard insondable et terriblement ambigu, sanctionnant l’impossible rencontre ou la lucidité fugace de personnages rendus étrangers à leurs propres désirs.
Certaines femmes, film de Kelly Reichardt (EU, 2016, 107 min). Avec Laura Dern, Michelle Williams, Lily Gladstone, Kristen Stewart, Jared Harris, James Le Gros. Diffusé sur OCS et disponible à la demande sur MyCanal.