Une marquise ondulante en verre et métal surplombant l’entrée évoque le riche passé de cet immeuble parisien du 4, boulevard Raspail édifié en 1915. Pendant des décennies, l’Hôtel Cayré, tenu par la même famille, a été le port d’attache des grandes maisons d’édition de Saint-Germain-des-Près et des romanciers de passage. Repris par la nouvelle marque hôtelière Miiro, l’établissement a réouvert cet automne, rebaptisé Grand Hôtel Cayré, et entièrement rénové par l’architecte anglais Michaelis Boyd dans une ode aux Années folles.
Abat-jour à frange, banquettes en cuir, lustres cascade et murs recouverts de peintures et d’affiches anciennes plongent Annette, le grand restaurant du rez-de-chaussée, dans une élégance feutrée. Ici, le chef, Bruno Brangea, fidèle d’Alain Ducasse pendant près de dix ans, a construit une carte sans fioritures qui assume les classiques, en misant sur une sélection aiguisée des produits : des fromages de la maison Barthélemy, de la rue de Grenelle voisine, au ketchup français de la maison Martin.
Au menu, qui change tous les trois mois, les poireaux fondants disputent la vedette au pâté en croûte de caille aux fruits secs d’Arnaud Nicolas, Meilleur Ouvrier de France, et mènent aux coquilles Saint-Jacques de Normandie et au tartare au couteau façon « grande brasserie ». Mais c’est une spécialité bourguignonne – qu’on aurait cru passée de mode jusqu’au retour de hype de la cuisine bourgeoise – qui attire l’attention.
Parfaitement exécuté
L’œuf bio en meurette, préparé à la minute et assorti de la mention « gagnant du Championnat du monde 2020 », est devenu en quelques mois la star de la carte. Entre deux confinements, Bruno Brangea a remporté l’honorable distinction disputée chaque année par une dizaine de candidats au château du Clos de Vougeot, à quelques encablures de Nuits-Saint-Georges, en Côte-d’Or. Au premier regard, le plat affûte l’appétit par la gourmandise de sa soyeuse sauce au vin – mijotée trois heures avec du paleron de bœuf puis montée au beurre avec une pointe de vinaigre pour l’aciduler. Elle enveloppe un œuf poché parfaitement exécuté, dont le jaune crémeux s’épanche sous la pression du couteau et crée un sillon dans le rouge brun de la sauce.
Des dizaines d’essais ont été nécessaires pour trouver le bon calibre, 60 à 65 grammes, et la cuisson parfaite, deux minutes quarante-cinq. Car, dans ce plat, tout est affaire de précision. L’aérienne chips de pain enrobée de beurre clarifié parfumé au thym et à l’ail apporte juste ce qu’il faut de craquant, tandis que les allumettes de lard poivré viennent relancer le palais. La purée soubise composée d’oignons d’Auxonne, un ajout du chef à la recette traditionnelle, apporte une douceur réconfortante qui donne envie de saucer l’assiette avec l’exquis pain au levain de Frédéric Lalos.
En guise d’épilogue, après le repas, on peut filer à l’Officine Bac, un bar pensé comme un speakeasy (bar clandestin), où le mixologue Oscar Blackstone a imaginé des cocktails aromatiques aux parfums botaniques.
Œuf en meurette, 19 euros. Annette, Grand Hôtel Cayré, 4, bd Raspail, Paris 7e. annetterestaurant.com