« On passe vite de héros à zéro. » C’est l’une des phrases fétiches de Carlos Tavares, pour se garder de tout triomphalisme. Malgré cette prudence, le directeur général de Stellantis s’est laissé griser par des résultats aussi exceptionnels que temporaires. En 2023, le constructeur généraliste, né de la fusion entre PSA et Fiat Chrysler, a atteint les mêmes marges que Mercedes ou BMW. Du jamais-vu. En mars, le cours de l’action était au plus haut, à 27,34 euros, saluant les dix ans de l’ingénieur à la tête du groupe. Trois mois plus tard, malgré des signes inquiétants aux Etats-Unis, il continuait à promettre une rentabilité sur ses ventes « à deux chiffres ».
Las ! Dimanche 29 septembre, le conseil d’administration s’est réuni d’urgence et, dans une « ambiance funèbre », selon l’un des administrateurs, Carlos Tavares a fortement revu les résultats à la baisse. De 14 % en 2023, la marge opérationnelle revient entre 5,5 % et 7 % en 2024, soit une rentabilité nulle au deuxième semestre. L’action est tombée à 13 euros. La méthode Tavares – baisse draconienne des coûts et du point mort, tout en vendant ses voitures toujours plus cher –, se heurte à la réalité du marché. Les acheteurs ne suivent plus, en particulier aux Etats-Unis, où le groupe faisait la moitié de ses profits. Avant même cette annonce, le conseil d’administration a lancé le processus de recrutement du successeur de M. Tavares, dont le mandat se termine en janvier 2026.
Depuis quelques mois, le groupe encaisse une série de mauvaises nouvelles. Il y a d’abord eu la crise des airbags Takata : après plusieurs accidents mortels, pour la première fois, une campagne de rappel automobile a été assortie d’un stop drive, une recommandation de ne plus circuler avec le véhicule. Il a fallu plusieurs mois au constructeur pour se mettre en ordre de bataille. Aurait-il pu mieux anticiper le problème sans cette obsession de toujours réduire les coûts ? C’est ce que voudraient savoir les conducteurs de Citroën C3 et C4 qui portent plainte contre Stellantis, rejoignant la colère de propriétaires de Peugeot équipées de moteurs PureTech défaillants.
La crise américaine a rapidement pris le relais : en juin, Carlos Tavares a reconnu l’échec de la stratégie marketing du groupe, qui a maintenu des prix élevés quand ses concurrents baissaient les leurs. La part de marché des marques américaines (Chrysler, Jeep, Ram et Dodge) a fortement reculé. Dans une lettre adressée à Carlos Tavares, citée par le New York Times, Kevin Farris, le président des concessionnaires de Stellantis, très remonté, dénonce un « processus de décision court-termiste et imprudent pour assurer des bénéfices record en 2023 », avec des « conséquences dévastatrices, pourtant absolument prévisibles ». Ils attendent toujours un remplaçant du Cherokee, best-seller de Jeep, et n’ont à proposer à leurs clients que des modèles plus onéreux. La valse des dirigeants du groupe aux Etats-Unis les laisse sans interlocuteur.
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