Le Sénat a adopté à la quasi-unanimité, jeudi 12 juin, une proposition de loi visant à reconnaître la « part de responsabilité » de l’Etat dans le scandale du chlordécone aux Antilles. Même s’il faudra un nouvel examen des députés sur ce texte, il semble désormais en mesure d’aboutir, alors que de nombreuses initiatives parallèles avaient avorté ces dernières années.
Le texte du député (Parti socialiste, Guadeloupe) Elie Califer fait désormais reconnaître à l’Etat français « sa part de responsabilité dans les préjudices sanitaires, moraux, écologiques et économiques » causés par ce pesticide. Interdit en France en 1990, il a continué à être autorisé dans les bananeraies de la Guadeloupe et de la Martinique jusqu’en 1993 par dérogation ministérielle, malgré des alertes de l’OMS sur sa dangerosité. Plus de 90 % de la population adulte des deux îles est contaminée, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), qui a conclu en juillet 2021 à une relation causale probable entre chlordécone et risque de cancer de la prostate.
« C’est un geste fort de dignité et de reconnaissance à l’égard de toutes les victimes », a salué le ministre des outre-mer, Manuel Valls, affirmant que « jamais un ministre n’avait dit aussi clairement devant le Parlement quelle était la responsabilité de l’Etat et combien celle-ci devait être assumée ».
Texte de compromis
La Chambre haute a cependant apporté d’importantes modifications au texte original qui laissent un « goût amer » à certains : « C’est un renoncement vidé de toute portée symbolique, sans aucune substance opérationnelle, financière ou juridique », a regretté le sénateur (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, Martinique) Frédéric Buval.
Son groupe parlementaire, une alliance entre ultramarins et macronistes, s’est d’ailleurs abstenu lors du vote. Il met en cause certains reculs par rapport à la version votée à l’Assemblée nationale, qui évoquait la « responsabilité » de la République au sens large et non pas la « part de responsabilité » de l’Etat, comme voté au Sénat.
D’autres ont regretté l’absence d’un véritable fonds d’indemnisation pour les victimes, même si le texte prévoit tout de même que l’Etat « s’assigne » pour « objectif » l’indemnisation de « toutes les victimes » contaminées dans un cadre professionnel ou non.
Autre reproche : le retrait de la notion de « préjudice moral d’anxiété » dans le champ de la responsabilité de l’Etat, après une deuxième délibération demandée par le gouvernement et des tractations entre l’exécutif et l’alliance droite-centristes, majoritaire au Sénat. Ce terme désigne les conséquences psychologiques résultant « de la conscience de courir un risque élevé de développer une pathologie grave », selon un jugement récent de la cour administrative d’appel de Paris, qui a estimé que ce préjudice était établi pour plusieurs victimes.