La revue des revues. L’extrême droite n’envahit pas que les urnes. Elle irrigue désormais les débats télévisés, les catalogues de grandes maisons d’édition et les kiosques. Les investissements médiatiques de milliardaires – Vincent Bolloré et Pierre-Edouard Stérin, pour ne citer qu’eux – pour promouvoir leurs aspirations traditionalistes, identitaires et xénophobes sont connus. Mais la multiplication de ces initiatives ne saurait être appréhendée sans analyser l’évolution parallèle des espaces intellectuel et culturel.
Dans son numéro d’été, la revue Esprit consacre son dossier à la « convergence des haines » (206 pages, 22 euros). Ou plus exactement aux puissants relais offerts ces dernières années aux « pensées réactionnaires ». Il pourra être reproché à cette expression de mêler des idéologies aux ferments parfois divergents, mais le périodique revient opportunément sur quelques personnalités dont le parcours illustre le renversement de valeurs à l’œuvre dans le débat public.
Plus de vingt ans après l’essai Le Rappel à l’ordre (Seuil, 2002), dans lequel Daniel Lindenberg caractérisait l’émergence d’un virage néoréactionnaire dans le paysage intellectuel français, Esprit décrypte la sédimentation depuis d’une mouvance qui par « confusionnisme », relativisme ou refus d’un prétendu « déni » face à un péril civilisationnel remet patiemment en cause l’Etat de droit libéral.
Xénophobes et paternalistes
Dans deux articles précieux pour leur mise en perspective de trajectoires personnelles versant dans la promotion de l’illibéralisme, le consultant David Chopin et l’historien Alexandre Gefen décryptent respectivement les contributions de Michel Onfray et de Michel Houellebecq à la cause réactionnaire. Le premier, ancien professeur se revendiquant toujours de gauche, se pose désormais en défenseur de la « civilisation judéo-chrétienne » sous le couvert du souverainisme. Le second a passé le cap de l’ambiguïté et de l’antimodernisme pour assumer publiquement la radicalité de ses personnages de romans.
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