La Corée du Sud a connu pendant quelques heures, dans la nuit de mardi 3 et mercredi 4 décembre, une crise politique inédite depuis plus de quarante ans. Dans un discours télévisé non annoncé tard dans la soirée de mardi, le président sud-coréen, Yoon Suk Yeol, a annoncé la promulgation de la loi martiale, affirmant que cette mesure était nécessaire pour protéger le pays.
Pour quelques heures, toutes les activités politiques ont été interdites et les médias ont été placés sous la surveillance du gouvernement. Dans la foulée, l’armée a pris position autour de l’Assemblée nationale, le Kuk hoe, Parlement monocaméral de la Corée du Sud, dans lequel étaient retranchés près de 200 parlementaires. Mais ces derniers ont voté le blocage de la loi martiale contraignant le président à annoncer qu’il lèverait la loi martiale à l’issue d’une réunion du cabinet attendue dans les prochaines heures. Retour sur le déroulé des événements.
- Loi martiale contre les « forces communistes nord-coréennes »
« Je déclare la loi martiale pour protéger la République de Corée libre de la menace des forces communistes nord-coréennes, pour éradiquer les abjectes forces antiétatiques pro-nord-coréennes qui mettent à sac la liberté et le bonheur de notre peuple, et pour protéger l’ordre constitutionnel libre », a déclaré Yoon Suk Yeol, faisant usage de l’article 77 de la Constitution.
« Sans se soucier des moyens de subsistance du peuple, le parti d’opposition a paralysé le gouvernement, à des fins de destitution, d’enquêtes spéciales et pour protéger son leader de poursuites judiciaires », a poursuivi le président au pouvoir depuis son élection en mars 2022.
Il n’a cependant pas cité de menace spécifique de la part de la Corée du Nord, dotée de l’arme nucléaire, se concentrant plutôt sur ses adversaires politiques sur le plan intérieur.
La loi martiale avait été décrétée pour la dernière fois le 17 mai 1980, lors du coup d’Etat militaire du général Chun Doo-hwan. Le lendemain, des centaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues de Kwangju, haut lieu traditionnel de la contestation, pour protester contre le coup d’Etat. M. Chun voulait remplir le vide du pouvoir après l’assassinat du dictateur Park Chung-hee. Les manifestations avaient été réprimées dans un bain de sang. La loi martiale avait été levée en janvier 1981.
Elle n’avait plus été instaurée en Corée du Sud depuis le processus de démocratisation enclenché à la fin des années 1980, y compris à des périodes de vives tensions, comme en 2016, lorsque des millions de manifestants ont obtenu la destitution de la présidente Park Geun-hye, sur fonds de scandale de corruption.
- Activités politiques interdites, parlement sous scellés
Après la décision du président, toutes les activités politiques ont été interdites et les médias placés sous la surveillance du gouvernement, comme l’a déclaré Park An-su, le chef de l’armée, dans un communiqué cité par l’agence coréenne Yonhap. Selon ce communiqué, « toute personne violant la loi martiale peut être arrêtée sans mandat ».
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Des hélicoptères ont atterri sur le toit du Parlement, selon des images en direct diffusées par les chaînes de télévision, des militaires sont brièvement entrés dans l’Assemblée avant d’en ressortir et de quitter les lieux, tandis que des centaines de manifestants affluaient vers le Parlement.
- Le Parlement bloque la loi martiale, l’armée refuse
Cette décision a suscité l’opposition immédiate des responsables politiques, notamment celle de Han Dong-hoon, chef du PPP dont est issu le président qui a qualifié la décision de « mauvaise » et a promis de « mettre un terme à cela avec le peuple ». Lee Jae-myung, le chef du Parti démocratique, a qualifié l’annonce de Yoon d’« illégale et inconstitutionnelle ».
Dans la soirée (mercredi à Paris), l’Assemblée nationale a voté pour demander au président Yoon Suk Yeol de lever la loi martiale. Selon la Constitution, celle-ci doit être levée lorsqu’une majorité parlementaire le demande : sur les 300 membres du parlement, 190 étaient présents et tous ont voté en faveur d’une motion demandant la levée de la loi martiale : 18 élus du Parti du pouvoir populaire (PPP) dont est issu le président et 172 députés du Parti démocrate. Woo Won-shik, président de l’Assemblée nationale, a déclaré que la proclamation de la loi martiale du président Yoon était devenue « nulle et non avenue ».
Mercredi, le président Yoon a finalement annoncé qu’il lèverait la loi martiale à l’issue d’une réunion du cabinet attendue dans les heures à venir. Il a aussi annoncé le retrait des troupes déployées autour de l’Assemblée nationale.
- En toile de fond, des discussions budgétaires dans l’impasse
L’allocution surprise du président est intervenue alors que le PPP de M. Yoon continue de batailler avec le principal parti d’opposition, le Parti démocrate, majoritaire au Parlement, sur le projet de budget de l’année prochaine. Les députés de l’opposition ont approuvé la semaine dernière, à travers une commission, un programme budgétaire considérablement réduit.
Le président a aussi évoqué une motion présentée cette semaine par le Parti démocrate visant à destituer certains des principaux procureurs du pays.
- Washington suit la situation
Le gouvernement américain « est en contact avec le gouvernement de la République de Corée et suit la situation de près », a dit dans un communiqué un porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche. « Nous espérons et attendons que les différends politiques soient résolus pacifiquement et dans le respect de l’État de droit », a déclaré Kurt Campbell, adjoint du secrétaire d’Etat américain. Séoul est un allié-clé des Etats-Unis en Asie, particulièrement dans un contexte de rivalités accrues avec la Chine : quelque 28 500 soldats américains sont stationnés en Corée du Sud pour la protéger du Nord.
Le Royaume-Uni « surveille de près » la situation a déclaré un porte-parole du premier ministre Keir Starmer, tandis que le ministère des affaires étrangères a appelé les ressortissants britanniques à « suivre les conseils des autorités locales et à éviter les manifestations politiques ».
Dans un communiqué, l’ambassade de Chine en Corée du Sud « conseille aux ressortissants chinois en Corée du Sud de rester calmes… de renforcer leur vigilance en matière de sécurité, de limiter les sorties inutiles et de faire preuve de prudence lorsqu’ils expriment des opinions politiques ».
« Nous suivons la situation de très près et avec inquiétude », a déclaré Stéphane Dujarric, le porte-parole du secrétaire général de l’ONU, notant ne pouvoir faire d’autres commentaires sur une situation qui « évolue rapidement ». « La situation est alarmante. Nous la suivons de près », a déclaré Dmitri Peskov, le porte-parole de la présidence russe à l’agence de presse Interfax.