« Succursale de l’enfer », « route vers le paradis », « dernier refuge » : c’est ainsi que des bénévoles et des militaires décrivent l’immense morgue de Rostov-sur-le-Don, où transitent la plupart des corps de soldats russes tombés en Ukraine depuis le 24 février 2022. Chaque jour, des centaines de personnes se pressent devant le 522e Centre de réception, de traitement et d’expédition des corps (CRTEC), dans cette ville située à 2 000 kilomètres de Moscou, dans l’espoir d’identifier un proche à partir d’un tatouage, d’une cicatrice, d’une dent.
« Je transporte les cadavres, je leur mets un uniforme, je les place dans un cercueil, j’accroche les insignes ; pour prélever l’ADN, on découpe la peau, on sépare les tendons et on scie des fragments d’os de 3 ou 4 centimètres : en somme, je les prépare pour leur dernier voyage », explique Sergueï, 40 ans, affecté à la morgue depuis deux ans. Il n’aime pas trop parler de son travail de peur de « choquer », mais admet que c’est mieux que de se battre. Par souci de sécurité, les noms mentionnés dans ce récit ont été omis ou modifiés.
« Sur le front, se souvient-il, c’était effrayant de devoir transporter un “300” qui était en fait déjà un “200” [dans le jargon militaire russe, un “300” désigne un blessé ; un “200” un mort]. Alors qu’ici, dans cette grande ville du Sud, les conditions sont correctes, avec une rémunération de 210 000 roubles par mois [2 137 euros, soit trois fois le salaire moyen]. »
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