Enchaîné à son rocher, une plaie béante au côté, Prométhée, quinquagénaire bedonnant, n’est vêtu que d’un short de football orange. L’Olympe à l’abri duquel Zeus exerce arbitrairement son pouvoir infini a l’air d’une villa rachetée à un narcotrafiquant dans la mouise. Eurydice envisage de quitter Orphée et son amour étouffant.
A première vue, Kaos ressemble à la version des mythes grecs que donnerait une classe de khâgne pour une fête de fin d’année, faite de clins d’œil aux initiés et de transgressions potaches. Si l’on s’accroche, c’est moins pour mesurer les libertés que le/la scénariste de Kaos, Charlie Covell (qui exige, en anglais, l’utilisation du pronom they pour le/la désigner ; et dont on n’est pas surpris d’apprendre que ses études ont été suivies à Oxford), a prises avec les textes anciens que pour profiter de la présence olympienne de Jeff Goldblum en maître du Panthéon.
Dans ses survêtements aux couleurs changeantes, derrière ses lunettes teintées de jaune, la ci-devant Mouche terrorise l’ici-bas (qui se résume ici à une Crète vivant sous la férule d’un Minos lui aussi tyrannique), multipliant les vengeances mesquines à l’endroit de ceux des humains qui osent le blasphème. Goldblum en fait un ancien séducteur prisonnier de son addiction au pouvoir, qui préfère désormais terroriser et tourmenter plutôt que charmer ou amadouer. L’acteur américain impose immédiatement sa souveraineté, entouré de Janet McTeer (Héra, rationnelle, insensible), Nabhaan Rizwan (Dionysos, immature, attendrissant) et Cliff Curtis (Poséidon, qui a plus une tête à skipper le yacht dans lequel il réside qu’à le posséder).
Parallèle inattendu
Le travail d’ensemble de cette divine distribution retient assez longtemps l’attention pour qu’on se retrouve, aux alentours du troisième épisode, pris dans une nasse de récits faits de motifs très anciens et d’angoisses très contemporaines. Zeus est tourmenté par une prophétie ancienne qui annonce la fin de sa famille et l’avènement du chaos. Tous les mythes convoqués par Charlie Covell deviennent ainsi les instruments du processus par lequel les humains recouvreront leur libre arbitre tout en perdant le sens que les habitants de l’Olympe donnaient à leur existence.
Restait à mettre en scène cette révolution : Kaos mobilise aussi bien les moyens du cinéma (le noir et blanc, qui sert à représenter les Enfers, évoque irrésistiblement celui d’Europe de l’Est) que ceux du théâtre. Les uniformes d’opérette de la garde minoenne, les fastes clinquants des garden-parties divines donnent à la série l’allure de certaines mises en scène d’opéra.
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