Un cocktail était organisé ce matin-là, au centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross) de Gris-Nez (Pas-de-Calais). Dans ce vieux bâtiment qui surplombe la Côte d’Opale, où sont coordonnées les opérations de secours en mer, un membre de la direction fêtait son départ. Par temps clair, depuis Gris-Nez, la vue est imprenable et porte jusqu’aux falaises de Douvres, en Angleterre, que rêvent d’atteindre les migrants qui s’élancent depuis plusieurs années maintenant dans le détroit du Pas-de-Calais, à bord de petites embarcations pneumatiques. Ils sont déjà plus de 20 000 à avoir réussi la traversée en 2024.
Mardi 3 septembre, alors que le cocktail battait son plein, un drame s’est invité sous les fenêtres du Cross. Un sinistre ballet de bateaux s’est mis en mouvement, à moins de trois kilomètres des côtes. Il y avait là des bâtiments de pêche, un patrouilleur des douanes, un navire affrété par l’Etat, des moyens de la Société nationale des sauveteurs en mer (SNSM) et même, dans le ciel, des hélicoptères. Tous recherchaient des rescapés après qu’une embarcation chargée de soixante-cinq migrants a fait naufrage.
Mardi soir, le bilan provisoire communiqué par le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer, Guirec Le Bras, faisait état de cinquante et une personnes secourues – dont plusieurs dans des états d’hypothermie sévère et deux en urgence absolue –, deux disparues et douze décédées, parmi lesquelles dix femmes et six mineurs. Les victimes seraient originaires, pour la plupart, d’Erythrée. C’est le plus lourd bilan établi depuis le naufrage survenu le 24 novembre 2021 et au terme duquel vingt-sept corps sans vie avaient été retrouvés.
D’ordinaire, Gaëtan Baillet pêche des homards. Mardi 3 septembre, il a vu « des corps flotter ». Le patron du caseyeur boulonnais La Bretonne a répondu au message d’alerte « Mayday » diffusé peu après 11 heures par le Cross et qui demandait aux embarcations disponibles sur zone de porter secours à des personnes en mer. C’est la première fois que Gaëtan Baillet ramasse un cadavre dans l’eau. « C’est un peu choquant », dit-il pudiquement. Son cousin, Axel Baheu, à bord du fileyeur Murex, a récupéré, avant lui, trois cadavres. C’était la première fois aussi, et il en a pleuré.
Axel Baheu avait aperçu l’embarcation vers 10 heures, à une centaine de mètres au large de son bateau. Les migrants y étaient entassés à peut-être quatre-vingt, certains à cheval sur les boudins mal gonflés du canot, l’un au moins tenant une bouée de piscine à la main, presque tous sans gilets de sauvetage.
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