Voilà un cours de licence que Margot Servières, étudiante en architecture, n’oubliera jamais. « Le professeur a annoncé qu’on se pencherait essentiellement sur la construction en béton, un matériau qui consomme énormément de ressources. Comment est-il possible d’avoir encore ce genre de cours aujourd’hui ? », s’indigne la jeune femme de 24 ans. Si, en 2020, elle est la seule à fermer son ordinateur et à quitter la salle de l’Ecole nationale supérieure d’architecture (ENSA) de Montpellier, ils sont nombreux, autour d’elle, à éprouver une forme de malaise.
En 2023, « ENSA en lutte » – mouvement de manifestation d’une ampleur rare, qui a rassemblé étudiants, enseignants et personnels administratifs de toutes les écoles d’architecture – demande une meilleure prise en charge des besoins de la formation. Dans un manifeste, un groupe d’étudiants de l’ENSA Normandie réclame la fin de « l’époque des baby-boomeur.euses starchitectes ». Ils expriment un « rejet total de l’architecture compétitive, médiatique et consumériste pour pouvoir construire ensemble des architectures plus humbles et justes ». Autant de réflexions qui bousculent aujourd’hui l’enseignement dispensé dans les ENSA, et transforment les parcours professionnels des jeunes diplômés.
L’architecture doit se positionner par rapport aux défis posés par le siècle, résume Christine Leconte, directrice de l’ENSA Paris-Belleville : « Au XXe siècle, on souhaitait loger tout le monde. Aujourd’hui, on s’intéresse au dérèglement climatique et à la perte de biodiversité. » En témoigne l’évolution des projets de fin d’études des étudiants, poursuit Mme Leconte : « Au début des années 2000, les projets étaient encore très axés constructions neuves. Aujourd’hui, la plupart partent de l’existant, et portent sur la réhabilitation. »
Directeur de l’ENSA Saint-Etienne, Cédric Libert fait le même constat dès les entretiens d’admission : « Qu’est-ce qu’une école d’architecture dans un monde où on nous dit qu’il faut arrêter de construire ? Les jeunes qui nous rejoignent sont de moins en moins mus par la figure de l’architecte héroïque, façon Le Corbusier [1887-1965] ou Zaha Hadid [1950-2016]. Ils considèrent l’architecture comme une façon de se reconnecter à la nature, à travers une intervention autre sur notre environnement. »
Les étudiants sont aujourd’hui très informés, abonde Christine Leconte : « Ils savent que nous avons rendu malade le territoire par la façon dont on s’est installés. On se doit d’être à la pointe sur ces sujets, si on ne veut pas être taxés de “has been”. »
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