L’avis du « Monde » – chef-d’œuvre
Tisser la vie, l’amour et les films, c’est ce que font ensemble, à l’écart de l’industrie du cinéma espagnol, le quadragénaire Jonas Trueba et sa compagne, Itsaso Arana. Il réalise, elle joue dans plusieurs de ses longs-métrages – depuis La Reconquista (2016) – et en coécrit les scénarios, en plus d’être metteuse en scène au théâtre et réalisatrice (Les filles vont bien, 2023).
On a beaucoup parlé de la fibre rohmérienne du réalisateur madrilène, révélé en France en 2020 avec Eva en août (2019), déambulation d’une trentenaire (Itsaso Arana) qui se suffit à elle-même, mais va rencontrer l’être aimé en la personne d’Agos (Vito Sanz). Mais, plus que les intrigues amoureuses, Trueba déroule, film après film, un simple, mais vertigineux, ruban : celui de la discussion des amants, avec cette croyance que la parole peut faire naître une histoire (Eva en août), lui donner la force de grandir (Venez voir, 2022) ou réconcilier les « ex » qui se retrouvent des années plus tard (La Reconquista).
C’est encore ce fil que tire Septembre sans attendre, mais sous la forme cette fois-ci d’une œuvre fantasque : après quatorze ans de vie commune, Ale (Itsaso Arana), réalisatrice, et Alex (Vito Ganz), comédien, décident de mettre un terme à leur histoire. C’est la fin de l’été, on les découvre dans la chambre en train d’évoquer tranquillement la séparation (on ne saura rien des motifs). Mieux, Alex propose d’organiser une fête pour trinquer à ce nouveau départ. Puisqu’ils vont bien, puisque tout est clair dans leurs têtes… Chacun se jauge, bravache. L’idée vient du père d’Ale (interprété par le cinéaste Fernando Trueba, lui-même père de Jonas…), lequel a toujours dit qu’il valait mieux célébrer les divorces que les unions.
Mais Ale et Alex sont-ils vraiment décidés ? Chacun joue la décontraction tout en scrutant les réactions de l’autre, ce qui installe une atmosphère burlesque, évocatrice des vieilles comédies américaines, notamment celles réalisées durant les premières années du parlant – comme Cette sacrée vérité (1937), de Leo McCarey, avec Cary Grant et Irène Dunne. D’une certaine manière, le flot de dialogues de Septembre sans attendre revisite l’abondance de paroles conjugales qui émergeait alors à Hollywood. Itsaso Arana, avec ses cheveux crantés aux épaules, a plus que des faux airs de Katharine Hepburn (1907-2003) dans Indiscrétions (1940), de George Cukor, avec Cary Grant et James Stewart.
Montage parallèle
La première partie du film, sautillante, s’amuse ainsi à cueillir les réactions et la stupeur sur le visage des amis et des proches : Ale et Alex se séparent, et ils veulent fêter leur rupture ? C’est dans ce comique de répétition que pointe une autre issue : ce n’est pas possible, ils vont se retrouver ! L’organisation spatiale de l’appartement sur cour, avec ses fenêtres donnant sur celles des voisins âgés, en couple depuis cinquante ans, ouvre d’autres pistes ludiques (en plus du split screen…).
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