Les quatre hommes paraissent un peu engoncés dans leurs uniformes kaki. Tous sourient, cependant, en prêtant serment d’allégeance, ce 13 juin : « Je jure solennellement de protéger et défendre la Constitution des Etats-Unis contre tous ses ennemis, intérieurs et extérieurs. » A dire vrai, ces quatre-là n’ont pas grand-chose de militaire. Mais ils n’ont eu besoin de s’aguerrir ni au parcours du combattant ni au maniement des armes pour être gratifiés du titre de lieutenant-colonel de réserve de l’armée américaine et bombardés dans ce « Détachement 201 », dont l’appellation ne dit rien.
En vérité, leur savoir-faire est bien plus précieux. Andrew Bosworth est le respecté directeur technique de Meta, une figure-clé des innovations majeures dans la réalité virtuelle dont rêvait Mark Zuckerberg pour son métavers. Shyam Sankar est son homologue au sein de Palantir Technologies, cette entreprise cofondée par Peter Thiel, dont les plateformes d’analyse de données complexes sont utilisées par les agences de renseignement et de défense. Quant à Kevin Weil et Bob McGrew, ils sont tous deux de hauts cadres d’OpenAI, la société derrière ChatGPT, autant dire des spécialistes de l’intelligence artificielle (IA) générative. La mission officielle de ce quarté ? « Combler le fossé technologique entre le secteur commercial et le monde militaire » et offrir « un soutien stratégique sur des projets-clés tels que les armes hypersoniques, l’IA de combat ou la détection de talents hors norme », a-t-on assuré à la presse. En clair : rapprocher la tech et l’armée, la Silicon Valley et le Pentagone, Palo Alto et West Point.
C’est un retour aux sources, lorsque la Silicon Valley avait été conçue, au sortir de la seconde guerre mondiale, comme une base du complexe militaro-industriel. Calculateurs, radars, sonars et premiers systèmes de guidage avaient alors été imaginés et testés dans l’ombre de l’université Stanford, grâce au financement de grandes entreprises de l’armement, avant d’être déployés dans l’armée. Internet n’est-il pas l’extension d’ARPAnet, un réseau militaire conçu dans les laboratoires de recherche de Berkeley, l’autre grande université de la baie de San Francisco ?
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