« Nous ne sommes ni de droite ni de gauche, nous sommes d’en bas, et nous allons chercher ceux d’en haut », résume la pancarte de Lionel, Stéphanie, Leane et Juliette à Clermont-Ferrand
A 11 heures, plusieurs centaines de manifestants se réunissent place des Carmes, devant le siège de Michelin, pilier historique, économique, social et culturel de Clermont-Ferrand – un bastion du Parti socialiste.
Lionel, son épouse Stéphanie et leur fille Leane, 22 ans, sont venus manifester en famille, avec Juliette, 23 ans, la meilleure copine de Leane. Tous font grève. Ils avaient préparé leur pancarte ensemble dimanche. Sur l’une d’elles est écrit ce qui résume la raison de leur présence : « Nous ne sommes ni de droite ni de gauche, nous sommes d’en bas, et nous allons chercher ceux d’en haut. » Lionel est employé chez Gamm vert, Stéphanie technicienne de laboratoire chez un céréalier, Léane animatrice périscolaire, et Juliette vendeuse en bijouterie. Ils sont politisés et informés. Inquiets aussi. De « ce gouvernement de droite qui flirte de plus en plus ouvertement avec l’extrême droite ».
La jeune Léane a pris sa carte d’adhérente chez La France insoumise (LFI). Pour elle, « la vraie fracture a eu lieu après la dissolution et les législatives anticipées, quand le choix du peuple n’a pas été respecté ». Elle s’inquiète des violences policières et des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+.
Son amie Juliette, 23 ans, a le cœur qui penche très à gauche aussi, mais a parfois du mal avec les attitudes des cadres nationaux de LFI : « C’est dur d’être jeune en 2025. On voit le monde partir en sucette, c’est désespérant. Ce mois-ci, j’ai touché 700 €. Je suis vendeuse en bijouterie, alors qu’à la base, j’ai fait deux ans de fac d’histoire – mais j’ai dû arrêter faute de pouvoir payer mon loyer et le reste des dépenses. »
Après des interventions au micro des représentants syndicaux, notamment, un cortège s’élance en direction de la place de Jaude au centre-ville, au son de la fanfare.
Dans le cortège, on rencontre un petit groupe d’amis « descendus de leur montagne » – pour grossir les rangs. Ils habitent Saint-Nectaire, 900 habitants, ont préparé leurs blouses ensemble dimanche et ont covoituré avec casse-croûte et Thermos de café. Ils s’attendaient à trouver beaucoup plus de monde et ne cachent pas leur déception. « Quand on est arrivés tout à l’heure, ça m’a donné envie de chialer de voir qu’on était aussi peu nombreux », lâche Marianne, infirmière dans des Ehpad où elle assure remplacements et vacations.


Mère célibataire d’un garçon, fin de mois difficiles – « pour une semaine de vacances en Bretagne, on va devoir manger des pâtes jusqu’à Noël » –, elle s’était souvent arrêtée au rond-point de Gerzat pendant les « gilets jaunes ». Aujourd’hui, elle a passé sa blouse sur laquelle elle a écrit « services publics à l’agonie », « T2A (tarification à l’acte) aux chiottes ».
Ils sont environ 1 200 à manifester. « Qu’on soit aussi peu nombreux alors que les choses vont mal, ça veut dire que les gens sont devenus passifs et résignés », s’inquiète Bénédicte, psychomotricienne, « déçue » quant au faible effectif de manifestants « alors que pour manifester contre les méga bassines à Billom, on devait être 6 000 ».
Une « passivité » qui l’inquiète particulièrement « alors que les choses glissent et s’installent dramatiquement ». Et de citer la réforme de l’audiovisuel public qui frappe Radio France, les effectifs réduits et les conditions de travail dévaluées dans les fonctions publiques (éducation nationale, santé…). Pour elle aussi, les législatives anticipées de 2024 ont été une « grosse claque ». « Mais ce qui m’a vraiment fait paniquer, c’est l’usage massif du 49.3. Ce n’est pas comme ça qu’on vote des lois dans une démocratie. »
Aux alentours de 12 h 30, un groupe de manifestants composé pour l’essentiel d’étudiants s’est dirigé devant le centre commercial de Jaude, où la tension est montée d’un cran lorsqu’ils y sont entrés. Certains ont tenté d’y lancer un sit-in. En vain. Les manifestants ont ensuite formé une chaîne humaine afin d’empêcher les clients d’entrer dans le centre commercial. Les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogènes.


Vers 14 heures, la place de Jaude avait retrouvé son calme. Le cortège a repris sa route, cette fois en direction du boulevard Lafayette, puis cours Sablon et boulevard Trudaine. Par endroits, les manifestants installent des barrages éphémères après leur passage. Dans ce secteur, la police détourne la circulation pour laisser la voie libre au cortège. Une « ZOT » (zone d’occupation temporaire) a été installée place du 1er-Mai, dans une ambiance bon enfant, avec cantine solidaire et atelier pancarte. Rendez-vous y est donné à 17 heures, pour discuter de la suite à donner à cette mobilisation.