L’AVIS DU « MONDE » – POURQUOI PAS
Certains lieux, de par leur histoire, de par les gens qui les ont fréquentés et la culture qui leur est associée, deviennent des institutions, des mythes de leur époque, marqués comme tels. Leur évolution devient, pour cette raison même, un symbole de la manière dont ils se confrontent au temps, entre transformation et disparition. C’est évidemment le bon moment pour un cinéaste d’y poser sa caméra. Ce que n’ont pas manqué de faire Maya Duverdier et Joe Rohanne en pénétrant dans le légendaire Chelsea Hotel. Ce somptueux immeuble victorien de brique rouge haut de douze étages, construit en 1883 à Manhattan, devient un hôtel en 1905, rapidement apprécié des artistes au point de devenir non seulement un lieu de ralliement, mais aussi de résidence permanente.
Les ombres de Mark Twain, Dylan Thomas, Jack Kerouac, Bob Dylan, Yves Klein, Arthur Miller, Shirley Clarke, Frida Kahlo, Janis Joplin, Nico, Patti Smith, Milos Forman – la liste est longue comme un bras – planent en ces lieux où la dèche croisait la gloire, où les artistes payaient volontiers en œuvres d’art, où Andy Warhol et Paul Morrissey tournèrent en 1966 le film Chelsea Girls. Inscrit dès 1977 aux monuments historiques de New York, l’hôtel est rongé par la vétusté et finit par changer de propriétaire en 2011, passant entre les mains d’un promoteur immobilier peu sensible aux charmes de sa bohème. Cap est mis sur le luxe.
Délibérément impressionniste
C’est ici qu’interviennent nos cinéastes, donnant une image du lieu en plein travaux, filmant quelques pensionnaires récalcitrants, accrochés à leur logement, détenteurs de sa mémoire, artistes presque fantomatiques incarnant en eux-mêmes la destruction en cours de l’utopie qui siégeait en ces lieux. L’ajout d’archives – l’hôtel a été beaucoup filmé – fait apparaître des images du passé, celle de Patti Smith elle-même en quête des traces du poète Dylan Thomas, celle de Stanley Bard, son mythique directeur, celle du peintre japonais Hiroya, qui avait pour usage de dormir dans un cercueil et qui a fini, sous acide, par se jeter dans la cage d’escalier.
Délibérément impressionniste, le film joue, après bien d’autres, la carte de la mythologie du lieu à l’heure où celle-ci commence à s’effacer et où son rêve se heurte de plein fouet à un réel qui se veut sans reste. Il eût à cet égard été intéressant – dans une épure documentaire certes plus classique – de chercher à en savoir davantage non seulement sur les personnages actuels, mais encore sur les autres forces en présence, du côté des promoteurs, du nouveau propriétaire ou de la ville de New York. C’eût été, il est vrai, un tout autre film.
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