Mohammed VI se rendra-t-il au Salon international de l’agriculture en compagnie d’Emmanuel Macron ? Selon nos informations, le président français a convié le roi du Maroc à assister à la grand-messe annuelle du monde agricole qui aura lieu à Paris du 22 février au 2 mars. Le monarque n’a pas encore répondu à l’invitation de l’Elysée, mais son déplacement officiel, s’il se confirme, serait son premier en France depuis 2018.
Le choix du Salon de l’agriculture n’est pas anodin. Pour la première fois, la manifestation mettra à l’honneur un pays, en l’occurrence le Maroc. Une décision qui « reflète l’importance des partenariats agricoles qui nous lient », expliquent les organisateurs. Difficile cependant de ne pas y voir le prolongement du rapprochement bilatéral conclu en 2024 à l’issue d’une séquence diplomatique en deux temps : la reconnaissance par Emmanuel Macron de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, en juillet, puis la visite du président français à Rabat, en octobre.
A Paris, une importante délégation marocaine est attendue, alors que de part et d’autre les échanges agricoles ont bondi, tirés par la croissance des exportations françaises de céréales et par la hausse des exportations marocaines de fruits et légumes. Le regain de confiance entre les deux pays pourrait toutefois pâtir des nouveaux rapports de force syndicaux en France. Avec, en toile de fond, une poussée de la contestation contre l’accord agricole noué entre l’Union européenne (UE) et le Maroc. Symbole de la « concurrence déloyale » dont les agriculteurs de l’Hexagone se disent victimes : la tomate cerise marocaine, exemptée de droits de douane moyennant quotas.
Sur cette question, les sujets de friction des deux côtés de la Méditerranée ne sont pas nouveaux. Quand les producteurs marocains assurent respecter les normes européennes et vouloir être compétitifs, leurs homologues français leur reprochent l’utilisation d’insecticides interdits dans l’UE et le faible coût de leur main-d’œuvre, dont découleraient des prix cassés dans la grande distribution. Vendue en France à 0,99 euro, la barquette de 250 grammes de tomates cerises allongées produites dans la région d’Agadir, dans le sud du Maroc, ou dans celle de Dakhla, au Sahara occidental, cristallise toutes les tensions.
Opérations coup de poing
L’exaspération des agriculteurs français a culminé en 2024. Des milliers de tomates marocaines avaient alors été déversées sur les routes et les parkings des supermarchés. En première ligne de ces opérations coup de poing, la Coordination rurale a réalisé une percée historique dans les chambres d’agriculture, laissant augurer d’un raidissement des positions syndicales françaises. Au marché Saint-Charles International de Perpignan, où transitent les tomates marocaines, des alertes ont été lancées ces derniers jours en prévision de possibles actions de représailles.
A cette colère, le score du Rassemblement national (RN) aux dernières législatives, qui a fait du parti présidé par Jordan Bardella le premier groupe politique au Palais-Bourbon, offre désormais un débouché politique. Sans en être à l’origine, la formation d’extrême droite entretient des liens étroits avec la Coordination rurale. Parmi les sympathisants du syndicat, 47 % des personnes sondées disaient vouloir voter pour le RN à l’élection européenne de juin 2024, selon le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Et de nombreux députés RN en milieu rural ont fait de la dénonciation des accords de libre-échange leur cheval de bataille.
Parmi eux, Hélène Laporte, élue du Lot-et-Garonne. Ce fief de la Coordination rurale abrite, après les Bouches-du-Rhône, les plus vastes cultures de tomates françaises. Récemment portée à la tête du groupe d’amitié France-Maroc à l’Assemblée nationale, la députée RN a répété ces derniers mois vouloir « engager un processus de révision des accords ». « Je pense notamment à celui qui nous lie au Maroc et qui prévoit des exonérations de droits de douane sur l’importation de tomates », a-t-elle déclaré dans l’Hémicycle le 15 janvier.
Le sujet a été abordé lors d’une rencontre entre Hélène Laporte et l’ambassadrice du Maroc en France, Samira Sitaïl, le 3 février à Paris. Officiellement, la position de Rabat est de s’en tenir à l’accord signé avec Bruxelles. « Nous ne voulons pas que les agriculteurs marocains soient tenus pour responsables de problèmes internes à la France ou à l’UE », indique une source marocaine.
« Relents protectionnistes »
Bien que le gouvernement français n’ait émis aucun signal en faveur de sa renégociation, l’épouvantail d’une remise à plat de l’accord est prêt à être agité côté marocain. Où l’on fait savoir que la renégociation, si elle avait lieu, devra porter sur tous les produits concernés. Au risque de nuire aux intérêts des grands gagnants du libre-échange entre les deux pays : les céréaliers français, qui ont fourni 45 % des importations de céréales au Maroc en 2022.
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C’est dire combien les propos tenus par le plus médiatique d’entre eux, Arnaud Rousseau, n’ont pas été du goût des professionnels marocains. Devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, le 18 septembre 2024, le numéro un de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) avait affirmé son « ambition de rediscuter de l’accord » avec Rabat. Le président du conseil d’administration d’Avril Gestion, l’actionnaire commandité du groupe Avril (ex-Sofiprotéol), propriétaire au Maroc de Lesieur Cristal, était jusqu’à présent considéré comme un rempart face aux coups de boutoir des agriculteurs les plus radicaux.
Conscients de l’extrême sensibilité du dossier, les ministres de l’agriculture des deux pays ont relancé le comité franco-marocain de la tomate, en veille depuis 2020. La question agricole figurera également au menu des discussions de la prochaine réunion de haut niveau entre les deux gouvernements, qui doit se tenir au Maroc avant l’été. Elle devrait également être évoquée ces prochains jours à l’occasion d’une rencontre en France entre les ministres des affaires étrangères des deux pays, Jean-Noël Barrot et Nasser Bourita. Ce dernier avait dénoncé l’an passé les « relents protectionnistes » de l’Europe.
La question touche jusqu’au plus haut sommet de l’Etat marocain. Parmi les nombreuses filiales de la holding Siger, qui appartient au roi Mohammed VI, figurent les Domaines agricoles, l’un des principaux exportateurs marocains de fruits et de légumes en Europe. La visite d’Etat du souverain en France, qu’Emmanuel Macron avait annoncée pour 2025 lorsqu’il se trouvait au Maroc, est toujours d’actualité, fait-on savoir à Rabat.