La polémique est apparue vendredi 15 novembre avec la diffusion, par la chaîne algérienne One TV, de l’interview de Saâda Arbane, une rescapée d’un massacre islamiste durant la guerre civile. Elle y accuse Kamel Daoud d’avoir utilisé pour son roman Houris (Gallimard, 416 pages, 23 euros), prix Goncourt 2024, les confidences qu’elle avait faites lors de séances de thérapie avec l’épouse de l’écrivain. L’information n’a été rendue publique que mercredi 20 novembre par l’avocate Fatima Benbraham mais deux plaintes ont été déposées à Oran, contre Kamel Daoud et la psychiatre Aïcha Dahdouh, au nom de Saâda Arbane et de l’Organisation nationale des victimes du terrorisme, dès le mois d’août, soit « quelques jours après la parution du livre ». A en croire l’avocate, citée dans une déclaration à l’AFP, les plaignants n’auraient « pas voulu en parler, afin qu’il ne soit pas dit qu’[ils] voul[aient] perturber la nomination de l’auteur pour le prix » Goncourt, attribué en novembre.
Les plaintes portent sur la violation du secret médical et la « diffamation des victimes du terrorisme et la violation de la loi sur la réconciliation nationale ». Une référence à l’article 46 de la charte sur la réconciliation algérienne qui prévoit des peines d’emprisonnement envers quiconque « instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’Etat, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international ».
Cette disposition légale, à l’interprétation élastique, a surtout servi dans les faits à préserver l’image des services de sécurité algériens et n’a pas empêché la publication dans le pays d’œuvres se rapportant à la décennie noire. Ainsi, l’apparition subite de l’avocate Fatima Benbraham, fervent soutien du régime, ses justifications sur la chronologie du dépôt des plaintes, laisse, même chez les nombreux détracteurs de Kamel Daoud en Algérie, le sentiment d’une campagne orchestrée contre l’écrivain dont la participation n’a pas été autorisée au Salon international du livre d’Alger, qui s’est achevé samedi, et dont le roman Houris est proscrit en Algérie, au motif de l’article 46.
« Personnages purement fictionnels »
Kamel Daoud, qui animait mardi une conférence à Sciences Po Paris, n’a pas encore réagi à sa mise en cause et à celle de son épouse, mais son éditeur Antoine Gallimard avait, dès lundi, rappelé dans un communiqué que « depuis la publication de son roman, Kamel Daoud fait l’objet de violentes campagnes diffamatoires orchestrées par certains médias proches d’un régime dont nul n’ignore la nature ». Le texte indiquait également que « si Houris est inspiré de faits tragiques survenus en Algérie durant la guerre civile des années 1990, son intrigue, ses personnages et son héroïne sont purement fictionnels ».
Les accusations contre Kamel Daoud, dont les positions politiques sont souvent critiquées dans son pays, s’inscrivent par ailleurs dans un contexte de tensions diplomatiques entre Paris et Alger, ravivées par la reconnaissance de « la souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental, puis par la visite d’Etat du président de la République, Emmanuel Macron, du 28 au 30 octobre au Maroc.