Le premier appel l’a un peu surprise, le second l’a franchement agacée. Mme Mao, une enseignante de la province du Jiangsu a bientôt 30 ans, elle est mariée. La première fois, en mai, l’employée du comité de quartier s’est montrée peu insistante au téléphone. Elle voulait certes savoir si elle prévoyait d’avoir un enfant, mais comme ce n’était pas le cas à court terme, elle se permettait juste de lui rappeler l’importance de prendre de l’acide folique au cours des premiers stades de la grossesse, si elle avait plus tard ce projet.
La deuxième fois qu’on l’a appelée, en octobre, une autre fonctionnaire du quartier lui a tout de suite demandé quand elle avait eu ses dernières règles. Mme Mao a trouvé cela franchement intrusif et de toute façon elle n’avait plus précisément la date en tête, ce à quoi la personne au bout du fil a répondu qu’elle la recontacterait dans quelques semaines pour connaître son cycle. « Ils se prennent pour la police menstruelle ? C’est complètement déplacé, c’est ma vie privée », s’offusque-t-elle.
Malgré le ton irrité qu’a pris la professeure, l’agent du comité de quartier, l’échelon le plus proche du citoyen dans l’administration chinoise, n’a pas hésité à en rajouter en demandant si elle avait des animaux de compagnie. Et d’insister sur les risques de transmission de la toxoplasmose. « Le gouvernement ferait mieux de s’atteler davantage à réduire le coût induit par le fait d’élever un enfant », commente la jeune femme.
La politique de l’enfant unique a marqué les esprits
Comme elle, de plus en plus de Chinoises en âge de procréer reçoivent ce type d’appels de l’administration locale. L’Etat s’inquiète vivement de la situation démographique du pays. L’indice de fécondité, le nombre d’enfants par femme, est tombé à 1,09 en 2022, synonyme d’un déclin démographique rapide alors que le niveau pour maintenir une population stable est de 2,1 enfants. En 2023, la population de la Chine a baissé de deux millions de personnes, passant derrière celle de l’Inde. Une étude prospective des Nations unies, le World Population Prospects, concluait en juillet 2024 que la population chinoise baissera de plus de 200 millions de personnes entre 2024 et 2054, puis qu’à l’horizon 2100 elle pourrait avoir chuté de plus de moitié par rapport à son niveau actuel de 1,4 milliard.
De fait, il est rare de croiser des Chinois voulant plus d’un enfant. Entre 1980 et 2016, la politique de l’enfant unique a interdit d’en avoir plus. Omniprésente dans la propagande durant plus de trois décennies, elle a marqué durablement les esprits, même si les Chinois lui reconnaissent un succès dans l’accélération de la transition démographique. Le développement économique entre-temps a nettement augmenté les coûts pour élever un enfant, tandis qu’avec la hausse du niveau de l’éducation et la nécessaire focalisation sur la carrière, les Chinois commencent à envisager d’être parents bien plus tard. Sans filet de sécurité sociale suffisant sur lequel asseoir sa famille, et les femmes craignant également les discriminations dans leur emploi, peu de gens estiment pouvoir se permettre le luxe de faire plus d’un enfant, notamment en raison du coût des logements en ville et de la prise en charge de la petite enfance.
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