Théorisé en 1979 par les psychologues américains Amos Tversky et Daniel Kahneman (Prix Nobel d’économie 2002), également développé par le sociologue Gérald Bronner dans La Démocratie des crédules (PUF, 2013), l’« effet d’ancrage » est un concept-clé de psychologie comportementale. Il renvoie à la situation où les participants à une discussion ont tendance à ne se positionner qu’à partir de la position du premier qui s’est exprimé. Tous les processus de décision publique, des procès pénaux aux mécanismes de gouvernance locale, peuvent y être sujets.
Dans cette période budgétaire incertaine, le gouvernement aura au moins réussi un effet d’ancrage puissant sur le débat public. Aujourd’hui, toutes les forces politiques et groupes de pression se positionnent sur la manière de trouver les fameux « 60 milliards d’économies pour 2025 », l’objectif annoncé par le premier ministre, Michel Barnier.
Face à la situation financière dégradée, l’« ancre » a donc pris la forme d’une équation financière à une seule inconnue. En réalité, ces 60 milliards d’euros d’économies renvoient à un écart escompté pour 2025 par rapport à une situation où aucun effort budgétaire particulier ne serait fourni (« toutes choses égales par ailleurs »). Le point de référence aurait très bien pu être la trajectoire 2025 envoyée à la Commission européenne au printemps, moins dégradée, et de laquelle aurait donc découlé un effort inférieur à fournir.
Potions amères
Le gouvernement présente donc plusieurs potions amères – ici un impôt en plus, là une baisse de dépenses – à partir d’un scénario bien choisi. Les oppositions y répondent par le refus de voter telle ou telle disposition – s’appuyant sur l’argument tautologique que celle-ci ferait des perdants – ou par des propositions alternatives de nouveaux impôts permettant de tenir jusqu’à 2025. Sans remettre vraiment en cause la dynamique générale.
Comment expliquer, dès lors, le succès de cet ancrage ? On peut avancer deux raisons principales.
La première tient au fonctionnement des lois de finances et à leur économie générale, qui font de l’annualité un principe central. Chaque année, les projets de lois de finances et de lois de financement de la Sécurité sociale font la part belle à la comparaison des dépenses et des recettes d’une année sur l’autre. Les lois de programmation des finances publiques (LPFP) n’ont, elles, pas de valeur contraignante, d’autant qu’un gouvernement ne se considère généralement pas comptable d’une LPFP présentée par son prédécesseur. Le principe constitutionnel de « non-aggravation des dépenses publiques », qui encadre le droit d’amendement des parlementaires (article 40 de la Constitution), habitue également députés et sénateurs à être en réaction au projet de l’exécutif.
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