Un peu plus d’un mois après le début du second mandat de Donald Trump, une illusion disparaît. Celle d’un président mû par un rapport purement transactionnel au monde, la diplomatie étant réduite avec lui à un business comme un autre auquel ce champion autoproclamé des affaires appliquerait les mêmes recettes que dans l’immobilier. Cette illusion ne résiste pas au traitement réservé depuis six semaines par le locataire de la Maison Blanche au dossier ukrainien.
Depuis la reprise sans conditions des discussions directes le 13 février avec le maître du Kremlin, Vladimir Poutine, Washington brouille en effet avec application les cartes dont il dispose. La trahison que constitue la « pause » brutale, le 3 mars, d’une aide militaire américaine cruciale pour permettre à Kiev d’arriver dans la meilleure position possible, le jour venu, à des négociations de paix, est le dernier exemple en date d’un choix stratégique. Il intervient après le refus de reconnaître aux Nations unies, le 24 février, l’agresseur dans la guerre qui ensanglante l’Ukraine depuis plus de trois ans et l’humiliation infligée, le 28 février, au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, coupable de ne pas se résigner à une capitulation, dans le bureau Ovale de la Maison Blanche.
Pendant ce temps, le rapprochement russo-américain va bon train. Dans la foulée des entretiens des chefs de la diplomatie des deux pays, Marco Rubio et Sergueï Lavrov, le 18 février, à Riyad, deux délégations de haut niveau se sont rencontrées, le 27 février, pendant six heures à la résidence du consul des Etats-Unis, à Istanbul, en Turquie, pour parler du renforcement des liens bilatéraux et d’un éventuel rétablissement des vols Washington-Moscou. Deux jours plus tard, la suspension des cyberopérations contre la Russie était évoquée.
Coup de poignard
L’objectif de l’administration Trump ne doit donc plus laisser de doute : il s’agit bien de jouer la carte russe et de soumettre l’Ukraine, en laissant les Européens gérer les conséquences de ce retournement. Dans la vision du monde de Trump, les alliés d’hier sont devenus des adversaires, ce que confirme la guerre commerciale relancée le 3 mars contre les partenaires historiques que sont le Mexique et le Canada, traités sans plus de ménagement que le rival chinois.
Le président Donald Trump n’a pas non plus l’intention d’accorder de délai de grâce aux Européens, menacés également de taxes douanières, pour leur permettre de s’organiser afin de compenser le retrait américain. Ils ont pourtant commencé à le faire avec le sommet de Londres, le 2 mars, et l’élaboration d’un plan franco-britannique en vue d’une trêve en Ukraine. Loin de vouloir les y encourager, les décisions prises ces derniers jours à Washington montrent que Trump veut précipiter les choses en Ukraine, notamment en contestant la légitimité du président ukrainien et en instillant l’idée de sa démission au moment où, précisément, les dirigeants des pays européens font bloc derrière lui.
C’est un coup de poignard de plus dans le flanc de l’Europe : Trump sait parfaitement que les alliés européens ne sont pas à même de fournir à court terme l’équivalent de l’aide militaire américaine aux Ukrainiens. A la veille du sommet européen extraordinaire convoqué le 6 mars par le président du Conseil européen, Antonio Costa, il les met brutalement au pied du mur, les pensant de toute évidence incapables de relever un double défi, sécuritaire et commercial.
Rectificatif du 4 mars à la mi-journée : la suspension des cyberopérations contre la Russie n’avait pas fait l’objet, à l’heure de la publication de notre éditorial, d’annonce publique par le Pentagone.