Auguste Venslauskaite connaît bien la Russie, à force d’entendre résonner les rafales des mitraillettes, les explosions des bombes, les bangs des avions à réaction. Un vacarme qui, quand les troupes de Vladimir Poutine se lancent dans des manœuvres, rappelle à la petite fille et aux habitants de sa ville qu’une armée hostile est tapie juste là, derrière la rivière Liepona, frontière traditionnelle entre cette partie de la Lituanie et l’enclave russe de Kaliningrad. Auguste (prononcer Augusté) a 7 ans. On la rencontre, avec ses parents et ses grands-parents maternels, à Kybartai, dont les 4 500 habitants vivent collés à cette avancée de la Fédération de Russie au cœur de l’Europe.
La Russie, pour eux, c’est, derrière les grillages et les caméras disposés le long de la frontière, ce no man’s land d’herbes folles, d’arbustes, ces quelques bâtiments au loin, une ruine aussi : l’église luthérienne d’Eydtkuhnen (aujourd’hui Tchernychevskoïe) vestige de l’époque où l’enclave était une partie de la Prusse-Orientale, avant d’être annexée par Staline en 1945 et de devenir un oblast – une région – soviétique, puis russe. Ce morceau de Russie, on le voit de partout, à Kybartai. Au détour d’une rue, au bout d’un jardin, derrière le cimetière de la ville.
Le stand de tir où les gardes-frontières russes font leurs exercices, à 500 mètres de la frontière, et le centre d’entraînement militaire de Dobrovolsk, 8 kilomètres plus loin environ, eux, ne sont pas visibles. Mais lorsque vous vous approchez de la ville un jour de printemps, dans cette zone rurale paisible, avec ses champs à perte de vue, ses étangs, ses cigognes affairées dans leurs nids, et que vous entendez une détonation, vous commencez à vous dire que Kybartai n’est pas ce qu’elle paraît être. Puis vous parlez avec les habitants et vous comprenez que ce petit avant-poste, qui fut aussi un haut lieu de dissidence à l’époque de l’occupation soviétique, concentre les angoisses de notre continent, hanté par le retour de l’oppression et de la guerre.
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