La mémoire de la Nouvelle-Calédonie s’inscrit au cœur de l’histoire coloniale française, dont le souvenir et les effets d’héritage pèsent encore très lourd aujourd’hui. Le président Macron, ses plus durables ministres des outre-mer, Sébastien Lecornu et Gérald Darmanin, trop jeunes pour se souvenir des événements de 1984-1988, ont pensé pouvoir faire fi de ce passé qu’ils estimaient totalement révolu. Les débats menés à l’Assemblée nationale sur le dégel du corps électoral provincial ont parfaitement illustré le déni de l’histoire au nom de la démocratie, de l’universalisme et du refus de considérer la Nouvelle-Calédonie comme un pays inscrit sur la liste des territoires à décoloniser, et non comme une province française. Déni encore illustré par le rapporteur de la loi, le député (Ensemble pour la République) néo-calédonien Nicolas Metzdorf, qui, tout en clamant l’ancienneté de sa famille en Nouvelle-Calédonie sur six générations, a du mal à assumer ses origines au croisement des « grandes familles » de colons qui ont dominé le pays jusqu’en 1946.
Ce déni de l’histoire coloniale du pays était nécessaire pour prétendre clore l’accord de Nouméa, défaire l’architecture délicatement construite depuis 1998 et minimiser l’effet dévastateur d’une ouverture du corps électoral provincial, décidée à Paris contre un peuple kanak soumis depuis toujours à la pression des stratégies de peuplement français, le tout au service des intérêts géostratégiques de Paris.
Ce retour du refoulé colonial est d’autant plus stupéfiant qu’un long chemin a été parcouru en quarante ans. Il aura fallu bien des violences, et celles de l’Etat en particulier, durant la période 1984-1988 pour qu’une partie de la classe politique française d’alors comprenne qu’il fallait entendre les revendications indépendantistes et réformer en profondeur le pacte liant la Nouvelle-Calédonie à la France.
Vers une indépendance hybride
Edgard Pisani [1918-2016], éphémère ministre chargé de la Nouvelle-Calédonie, fut un précurseur lorsqu’il proposa, en 1985, un projet d’indépendance-association, fort de son expérience des indépendances africaines. « Nous croyons – et nous le croyons très fort – que l’indépendance est inscrite dans l’avenir, et nous croyons que l’intérêt de la Calédonie, comme celui de la France, est qu’elle se fasse dans l’association, déclare-t-il face au Sénat. Dès lors que cette indépendance apparaît comme inéluctable, mieux vaut ne pas en retarder l’effet, car, aujourd’hui, l’indépendance est possible en association avec la France : peut-être, demain, se ferait-elle contre la France ! »
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