La première ministre thaïlandaise, Paetongtarn Shinawatra, menacée par le délitement de sa coalition, a présenté jeudi 19 juin ses excuses, en appelant de nouveau à l’unité entre le gouvernement et l’armée. « J’aimerais présenter mes excuses (…). Nous devons rester unis et éviter le conflit entre nous », a déclaré la dirigeante, debout devant des responsables militaires, dans une rare image de cohésion.
Depuis mercredi, Mme Shinawatra est fortement critiquée pour son ton jugé inapproprié vis-à-vis des militaires, lors d’une conversation téléphonique avec l’ancien premier ministre cambodgien Hun Sen qui a fuité.
Dans l’enregistrement téléphonique qui a fuité, la cheffe du gouvernement, 38 ans, appelle Hun Sen, 72 ans, considéré comme un proche des Shinawatra, « oncle », une formule de politesse courante en Asie mais interprétée comme un signe trop familier ou révérencieux dans ce contexte par ses adversaires. Elle a aussi assimilé à un « opposant » un général chargé de surveiller une partie de la frontière avec le Cambodge. Son objectif était d’apaiser les tensions à la frontière, ravivée fin mai par la mort d’un soldat khmer lors d’un échange de coups de feu, s’est-elle défendue.
Quelques heures après la mise en ligne de l’enregistrement, par Hun Sen lui-même, les conservateurs du Bhumjaithai, principaux soutiens du parti au pouvoir, Pheu Thai, ont claqué la porte de la coalition, ouvrant une nouvelle période d’instabilité dans un royaume agité de crises récurrentes.
« Crise au plus niveau »
Le Parti du peuple, la principale formation d’opposition – qui a repris l’étendard de Move Forward, le mouvement prodémocratie victorieux des législatives de 2023 avant sa dissolution –, a appelé à la démission de la première ministre. « Ce qui s’est passé hier [mercredi 18 juin] est une crise au plus haut niveau qui a détruit la confiance du peuple », a déclaré le chef de file de la formation réformiste, Natthaphong Ruengpanyawut. « Le peuple exige un gouvernement qui puisse résoudre les problèmes, et la seule manière d’y parvenir, c’est d’avoir un gouvernement légitime », a-t-il insisté.
Une autre branche de l’opposition, proche de l’armée, a pourfendu l’attitude de la dirigeante, jugée irresponsable vis-à-vis des militaires. Des centaines de manifestants, parmi lesquels des anciens Chemises jaunes, ces partisans du roi et de l’ordre traditionnel, rivaux des Chemises rouges, pro-Shinawatra à la fin des années 2000, ont battu le pavé jeudi matin devant le palais du gouvernement, à Bangkok, pour réclamer le départ de sa locataire.
« Je suis très déçue par le dirigeant cambodgien, du fait qu’il a mis en ligne l’enregistrement. Je ne pense pas qu’un autre dirigeant dans le monde aurait agi de cette manière », a insisté jeudi Mme Shinawatra. Le ministère des affaires étrangères thaïlandais a remis jeudi à l’ambassadeur cambodgien une lettre de protestation.
Rumeurs d’une intervention militaire
La Thaïlande a déjà changé de premier ministre l’an dernier, mais ce pic de tensions s’inscrit dans une nouvelle donne mondiale marquée par l’offensive protectionniste américaine, qui menace de gripper une économie thaïlandaise déjà fragile. Parmi les scénarios évoqués, la dissolution de l’Hémicycle pour organiser des élections anticipées sous 60 jours, ou la nomination d’un nouveau chef du gouvernement sur les bases d’une majorité similaire.
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En présentant ses excuses, Mme Shinawatra, qui portait jeudi un haut jaune, la couleur du roi, espère conserver le soutien des militaires, bien que ces derniers soient considérés comme des rivaux de sa famille, cette opposition polarisant le débat politique depuis plus de vingt ans. L’armée, à l’origine d’une douzaine de coups d’Etat réussis depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, a réaffirmé plutôt son adhésion aux « principes démocratiques » et aux mécanismes légaux existants, tout en se tenant prête pour défendre la « souveraineté nationale ».
Par le passé, les militaires ont organisé un putsch pour déloger du pouvoir le père de Paetongtarn Shinawatra, Thaksin, ainsi que sa tante Yingluck, ce qui a irrémédiablement alimenté les rumeurs d’une nouvelle intervention au cours des dernières heures. Des dirigeants du Parti de la nation thaï unie, proche des militaires, et du Parti démocrate doivent se rencontrer jeudi pour évoquer le sort de la coalition dont ils sont membres.