Le 30 juillet, vers 10 heures du matin, le godet de la pelleteuse s’est mis à vibrer, soulevant un nuage de poussière. Ses dents métalliques venaient de s’accrocher à une épaisse dalle de ciment enfouie quelque 50 centimètres sous terre, à proximité d’un sentier bordé de chênes, dans l’enceinte du Bataillon 14, une base militaire de 408 hectares à 25 km au nord de Montevideo, la capitale de l’Uruguay.
Toute la nuit, armée de truelles en métal et de pinceaux, une équipe de dix archéologues et anthropologues avait délicatement creusé sous la dalle, prenant soin de ne pas endommager des restes osseux qui émergeaient dans la terre noire. Trois jours plus tard, le squelette est finalement apparu, allongé face contre le sol. La présence d’un cal osseux sur une côte a laissé peu de doute : le 24 septembre, les analyses d’ADN ont confirmé qu’il s’agissait du cadavre de Luis Eduardo Arigon, un libraire de 51 ans qui militait pour le Parti communiste opposé à la dictature et s’était cassé la côte avant son arrestation, le 15 juin 1977. Selon les témoignages d’autres détenus, il aurait ensuite été torturé à La Tablada, un hôtel désaffecté utilisé comme centre de détention, jusqu’à sa mort.
Le corps de M. Arigon est désormais le quatrième retrouvé dans le Bataillon 14 depuis le début des fouilles en 2005, ravivant l’espoir de connaître enfin le destin d’au moins 163 disparus durant la violente dictature militaire en Uruguay entre 1975 et 1985 dont le sort reste encore inconnu : car quarante ans après le retour de la démocratie, seules 34 personnes ont pu être identifiées. Parmi celles-ci, 25 se trouvaient en Argentine et une au Chili, arrêtées dans le cadre de l’« opération Condor », un plan de coopération entre les régimes militaires sud-américains visant à éliminer leurs opposants entre 1975 et 1983. A l’approche du second tour de l’élection présidentielle du dimanche 24 novembre, les candidats du Frente Amplio (gauche), Yamandu Orsi, et du parti de droite au pouvoir, le Partido Nacional, Alvaro Delgado, pratiquement à égalité dans les sondages, se sont tous les deux engagés à poursuivre les investigations.
Une veillée funèbre quarante-sept ans plus tard
Pour les familles des disparus, la découverte des corps est « une forme de reconnaissance » envers leurs proches, confie Sabina Arigon, 59 ans, la fille cadette de Luis Arigon, depuis le salon de son domicile dans un petit immeuble au sud de la capitale. Brune comme son père, et coiffée avec la même frange que sur ses photos de jeunesse, elle explique qu’au fil du temps, face à leur absence, « les disparus deviennent en quelque sorte des personnages de fiction ».
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