ARTE – DIMANCHE 22 DÉCEMBRE À 22 H 50 – FILM DOCUMENTAIRE
Qu’est-ce que le génie ? Il n’y a sans doute pas de réponse évidente, sinon de réponse tout court, à cette question. Gageons, toutefois, que le long documentaire (plus de deux heures trente) de Giuseppe Tornatore sur Ennio Morricone (1928-2020) permettra, non pas de résoudre cette énigme, mais de se confronter à une dimension quasi surhumaine de l’activité artistique. Voilà ce qui pourrait définir, superficiellement peut-être, l’art de celui qui fut un des plus grands musiciens de la seconde partie du XXe siècle.
Pour cela, il fallait peut-être adopter une forme simple, anonyme, celle d’un portrait constitué de témoignages divers, d’extraits de films utilisés de façon didactique au service d’un parcours biographique déployé dans la stricte chronologie de l’existence du maestro. Mais ce qui fait la colonne vertébrale de ce film, c’est un entretien, long et précis, avec Morricone lui-même, qui court durant tout le documentaire et qu’appuient les interventions des nombreux artistes appelés à décrire leur collaboration avec lui, à évoquer l’homme et son art. Et ce qui frappe, c’est l’incroyable vivacité d’esprit, l’expression d’une mémoire intacte, la précision de l’énonciation, lorsqu’il s’agit de rappeler les conditions et les idées qui ont engendré telle ou telle composition devenue immortelle.
Tornatore rappelle la jeunesse et l’enfance de celui qui suivit les traces de son père en devenant comme lui trompettiste, sa volonté d’étudier la composition, son goût pour la musique contemporaine et l’expérimentation. Il écrivit de nombreux arrangements pour la télévision et pour la chanson de variété, inimitable forme triviale et géniale à la fois, de l’autre côté des Alpes. La musique populaire italienne fut un inépuisable creuset, d’où surgirent de nombreux compositeurs pour le cinéma, et le trajet de Morricone aura été semblable à celui de plusieurs musiciens, ce sur quoi, peut-être, le film de Tornatore, peu soucieux de contextualiser le parcours du maître, passe un peu négligemment.
Instruments peu usités
Les collaborations avec les réalisateurs font l’objet de nombreuses anecdotes, à commencer par celles des retrouvailles avec celui qui fut son camarade de classe, Sergio Leone (1929-1989). Les musiques qu’il écrivit pour ses westerns − Pour une poignée de dollars ; Le Bon, la brute et le truand ; Il était une fois dans l’Ouest… − sont qualifiées, en raison de l’utilisation d’instruments peu usités, comme la guitare électrique, et du recours au sifflement et à la voix humaine, de « choc culturel ». Nombre d’intuitions géniales participèrent à la création de morceaux uniques, donnant à jamais une coloration musicale au film.
Le compositeur rappelle, avec un plaisir non feint, la façon dont il recyclait lui-même ses propres arrangements pour la chanson, les réutilisant au nez et à la barbe des cinéastes qui lui commandaient des musiques.
C’est, paradoxalement, en travaillant pour un cinéma strictement commercial que Morricone composera ses musiques les plus expérimentales, s’éloignant de la mélodie pour inventer une sorte de jazz dissonant, comme dans les premiers films de Dario Argento. Les témoignages recueillis tracent le portrait d’un artiste total, surdoué, possédé par la musique, capable d’écrire une partition à la vitesse de quelqu’un rédigeant une lettre.
Gloire internationale
Attaché à l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs, il signera la musique du premier film de Marco Bellocchio, Les Poings dans les poches (1965), et du deuxième de Bernardo Bertolucci, Prima della Rivoluzione (1964), titres cruciaux dans l’histoire du cinéma italien moderne.
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En s’immergeant dans le film de Tornatore, qui, progressivement, parvient à recréer chez le spectateur la transe particulière qu’engendraient les compositions du maître, on est amené à se poser une question qui touche à la conception même de l’auteur, souvent réduite, en France notamment, à la désignation du réalisateur comme tel. Ennio Morricone ne fut-il pas lui-même, en partie, le coauteur de nombreuses œuvres, dont récits et mises en scène semblaient s’enrouler autour de la bande-son ?
La fin du film évoque l’apogée d’un artiste devenu une gloire internationale, que les Oscars pourtant mirent du temps à célébrer, embarqué dans la multiplication de concerts symphoniques monumentaux. Et c’est sans doute Bernardo Bertolucci qui donnera ici la meilleure définition du travail de ce génie de la musique : « Il a fusionné la prose et la poésie. »
Ennio, film documentaire de Giuseppe Tornatore (It.-Bel.-Jap., 2021, 156 min). Disponible à la demande sur Arte.tv jusqu’au 21 mars 2025.