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L’année 1984 marque le moment où la gauche laïque perd la dernière bataille de la guerre scolaire qui l’oppose depuis plus d’un siècle à l’Eglise et à la droite conservatrice. Le « projet Savary » constitue un compromis fragile et complexe de règlement et il est dénaturé par les « amendements Laignel », qui provoquent d’immenses manifestations jusqu’à son retrait, en juillet, par le président François Mitterrand. Depuis lors, un statu quo, fondé sur la loi Debré de 1959, s’est imposé, quoique François Bayrou ait tenté de le modifier en 1993 en faveur du privé par une loi sanctionnée par la rue et le Conseil constitutionnel.
Pour autant, la guerre scolaire est-elle finie ? Celle-là, sans doute, mais une autre, plus feutrée, s’y est substituée, cette fois à caractère social avec des établissements, surtout privés, pour les couches sociales favorisées, et des établissements, surtout publics, pour les enfants des milieux populaires. Ce nouveau dualisme résulte d’une série de phénomènes.
La guerre scolaire a changé de nature. Les combattants de naguère se sont évanouis, pour deux raisons. D’une part, la déchristianisation de la société française : on assiste, depuis les années 1950, à une diminution massive de la pratique religieuse et, par conséquent, à un affaiblissement de la place de l’Eglise, qui n’est plus un danger. D’autre part, la laïcité n’est plus le monopole de la gauche : elle est devenue l’arme du combat de la droite et de ses extrêmes contre un nouvel « ennemi », la religion musulmane.
Erosion du « caractère propre »
Peu à peu, la guerre scolaire adopte une autre forme, sous l’effet de plusieurs facteurs, dont la conversion de l’enseignement catholique. Avec les contrats de la loi Debré, les établissements catholiques deviennent des établissements « privés » assez semblables à l’enseignement public. Leurs personnels, par exemple : les clercs et les religieux, qui représentaient 41 % des enseignants en 1959, ont été remplacés par des laïcs, diplômés et soucieux de professionnalisme, qui appliquent les programmes de l’enseignement public. De ce fait, le « caractère propre » a incontestablement subi une érosion, en dépit de la résistance des évêques et de certains établissements.
La demande des familles a également évolué. Par tradition, avant 1959, celles-ci attendaient des écoles catholiques qu’elles donnent une « bonne éducation » à leurs enfants, plus que des compétences académiques. Cette tradition est résiduelle : les parents sont devenus, pour beaucoup, des « consommateurs d’école », qui veulent des résultats scolaires et une insertion professionnelle. Ils exercent un libre choix à l’égard de l’offre, guidés par ce qu’ils considèrent comme le « meilleur » pour leurs enfants.
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