Un an après l’Assemblée nationale, le Sénat a adopté, mardi 10 juin, une proposition de loi pour freiner l’essor de la « fast fashion », cette mode « ultra-éphémère » incarnée par le géant Shein et ses vêtements à bas coût expédiés par millions depuis la Chine. Le texte de la députée Horizons Anne-Cécile Violland, soutenu par le gouvernement, a été approuvé à l’unanimité.
Pour être mis en œuvre, il doit désormais faire l’objet d’un accord députés-sénateurs lors d’une commission mixte paritaire (CMP) attendue à l’automne. Entre-temps, la Commission européenne aura été notifiée et aura pu adresser des observations à la France sur ce dossier parfois complexe.
Pénalités pour les entreprises polluantes, publicité interdite, obligations pour les plateformes, influenceurs sanctionnés… La proposition de loi met en place toute une panoplie d’outils pour limiter un phénomène en pleine expansion, celui de la « fast fashion », tantôt baptisée mode « ultra-éphémère » voire « ultra-express », terme retenu par le Sénat. « Ce texte a deux ambitions : protéger notre environnement et protéger notre commerce », a salué devant les sénateurs Véronique Louwagie, ministre de la consommation.
Ces derniers jours, c’est Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, qui avait défendu cette réforme, se disant satisfaite d’une loi « aussi ambitieuse qu’on pouvait l’espérer » pour faire face à une « invasion » de vêtements à prix modique, constamment renouvelés et critiqués pour leur impact environnemental et social.
« Loi anti-Shein » ?
Particulièrement visée par les sénateurs, la plateforme Shein. L’entreprise basée à Singapour se distingue des acteurs historiques de l’industrie textile par la multiplication de ses produits. Une déferlante de 7 220 nouvelles références par jour en moyenne, selon une analyse réalisée par l’Agence France-presse (AFP) du 22 mai au 5 juin.
Un chiffre à comparer aux quelque 290 nouvelles références quotidiennes dans la catégorie « vêtements femmes », et 50 dans celle « vêtements hommes », du site de H&M, acteur traditionnel du secteur. L’ambition du Sénat comme du gouvernement est donc de cibler Shein plutôt que H&M, Zara ou Kiabi.
« Nous avons tracé une ligne nette entre ceux que nous voulons réguler, l’ultra mode express (…) et ceux que nous voulons préserver : la mode accessible mais enracinée, qui emploie en France, qui structure nos territoires, qui crée du lien et soutient un tissu économique local », a martelé mardi la sénatrice Les Républicains Sylvie Valente Le Hir, rapporteuse sur le texte.
« Cette proposition de loi risque de faire peser la responsabilité de la durabilité sur les consommateurs, déjà confrontés à des pressions économiques, en réduisant davantage leur pouvoir d’achat », a réagi Shein immédiatement après le vote, après avoir déjà dénoncé ces derniers jours une « loi anti-Shein ».
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Les principaux acteurs de la mode en France ont salué, eux, « un texte ambitieux », priant les sénateurs « de ne pas céder au lobbying infernal de Shein » tentant de « saboter » le texte, selon une tribune envoyée mardi à l’AFP, également signée par le député européen Raphaël Glucksmann, le sénateur Yannick Jadot, ou la secrétaire nationale de Les Ecologistes, Marine Tondelier.
L’entreprise défend, elle, ouvertement son modèle, placardant des affiches « La mode est un droit, pas un privilège » ou organisant des rassemblements de consommateurs comme dimanche à Saint-Denis ou à Béziers.
Pénalités
Si la loi entre en vigueur, elle devra se plier à d’importantes obligations, comme celle de sensibiliser les consommateurs à « l’impact environnemental » de leurs vêtements. Aucun doute non plus sur le fait que Shein devra s’acquitter des « écocontributions » renforcées dans la loi, sur un principe de « bonus-malus » lié aux critères de « durabilité » des entreprises. Avec une pénalité qui atteindra au moins 10 euros par article en 2030.
Initialement accusé par des associations environnementales et par une partie de la gauche d’avoir « détricoté » le texte, le Sénat a finalement voté une version assez large du dispositif, car ces pénalités s’appliqueront aussi aux acteurs européens – ou français – les moins durables.
De plus, l’interdiction totale de la publicité pour la mode ultra-éphémère a été rétablie après avoir été supprimée en commission, avec un volet de sanctions consacré aux influenceurs qui voudraient en faire la promotion. La conformité de ces mesures à la Constitution est néanmoins questionnée.
Enfin, le Sénat a également adopté une disposition inattendue : l’instauration d’une taxe sur les petits colis livrés par des entreprises établies hors de l’Union européenne, comprise entre 2 et 4 euros. Une façon d’élargir le spectre en visant notamment un autre géant asiatique du commerce en ligne, Temu.