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La comédienne iranienne Golshifteh Farahani est cette semaine à l’affiche de « Roqya » de Saïd Belkitibia.
L’histoire d’une mère célibataire qui trafique des animaux sauvages pour les guérisseurs qui prolifèrent sur Internet.
TF1Info a rencontré cette artiste engagée, à l’heure où le régime de Téhéran se fait chaque jour plus menaçant pour les artistes.
Son histoire est un roman. Et Golshifteh Farahani la porte à travers tous les rôles qu’elle incarne à l’écran. Première actrice iranienne à tourner à Hollywood depuis la révolution islamique de 1979, elle a été privée de passeport après avoir participé sans voile à une conférence de presse de Mensonge d’État de Ridley Scott avec Leonardo DiCaprio.
Depuis, elle a choisi l’exil et poursuit sa carrière des deux côtés de l’Atlantique. On la retrouve cette semaine Roqya, le premier film intense de Saïd Belkitibia. Ou l’histoire d’une mère célibataire qui trafique des animaux sauvages pour les guérisseurs qui prolifèrent sur Internet. Jusqu’au jour où un drame met sa propre vie en danger et la contraint à fuir.
Nous avons rencontré la comédienne début mars, après son discours pour la paix sur la scène des César. Alors que le régime de Téhéran se montre chaque jour plus menaçant pour les artistes, avec la condamnation à mort du rappeur Toomaj Saleh et celle à cinq ans de prison du cinéaste Mohammad Rasoulof, ses propos sont d’une actualité hélas brûlante…
Pourquoi avez-vous eu envie d’incarner cette femme, confrontée à une situation pour le moins inhabituelle ?
Il n’y a pas vraiment de hasard. Rohkia, c’est le drame d’une femme assez particulière, dans une société où elle n’est pas très appréciée à cause de sa « grande gueule ». C’est comme ça qu’on dit en français ? Je l’aime beaucoup parce qu’elle a plusieurs couches. Elle est presque négative, c’est une pirate ! Ce n’est pas le genre de femme comme on a l’habitude de voir, avec de la douceur. Elle casse un peu tous les archétypes pour une héroïne de film. Elle est dans cette zone grise. Elle lutte pour sa survie, elle est chassée par des hommes qui veulent la tuer pour ce qu’elle est. Mais aussi à cause d’un malentendu absolu.
Son job, c’est quoi au juste ?
Elle dit dans le film qu’à l’époque des chercheurs d’or, il y avait des gens qui vendaient des pelles. Et que ce sont eux qui sont devenus riches ! C’est son cas. Elle trafique des animaux exotiques pour des guérisseurs. Ce qui fait d’elle une businesswoman dans un milieu où on peut gagner pas mal d’argent. Est-ce qu’elle y croît ou pas ? En tout cas, elle fait des affaires.
Cet univers des guérisseurs qui prospèrent sur les réseaux sociaux et qui mélange plein de cultures différentes, vous le connaissiez ?
Je savais que ça existait. Ces exorcistes, chrétiens, musulmans, les marabouts… On se demande pourquoi les gens qui les consultent ne vont pas voir un médecin. Que faut-il penser d’une société où on préfère aller voir un guérisseur ? Le film pose des questions. Mais on ne les juge pas, on ne les condamne pas. On montre ce qui se passe.
Quand je me bats pour la liberté, ce n’est pas seulement pour les femmes et les hommes en Iran. C’est un combat mondial
Quand je me bats pour la liberté, ce n’est pas seulement pour les femmes et les hommes en Iran. C’est un combat mondial
Golshifteh Farahani
C’est une femme contrainte de fuir, ce qui fait écho à votre parcours personnel. Est-ce qu’il n’y a pas un peu de vécu dans tous vos rôles, au fond ?
Je crois que dans la plupart des rôles qu’on joue, il y a une partie de nous. Il y a aussi la découverte de nous. Certains personnages nous contraignent à aller creuser dans les tréfonds de notre âme. Celui-là aussi. C’est drôle parce qu’au moment où je tournais la course-poursuite dans le film, c’était au moment des manifestations en Iran. Et j’avais le sentiment que des gens me cherchaient, moi aussi. La vie se mélangeait à la fiction. Quand je rentrais du tournage, je fermais les rideaux chez moi, comme mon personnage. De toute façon, je pense que le réalisateur a écrit cette histoire parce qu’il a vu quelque chose en moi.
Vous avez régulièrement pris la parole sur les réseaux lors de la révolte des femmes en Iran. En quittant votre pays, pensiez-vous devenir une porte-parole depuis l’étranger ?
On est tous connectés à nos racines. Parfois, on est dans le déni. Parfois, on l’assume. Quand je me bats pour la liberté, ce n’est pas seulement pour les femmes et les hommes en Iran. C’est un combat mondial. Parce que tant qu’une personne est privée de liberté sur cette planète, personne n’est libre. Il se trouve que je viens d’Iran, que c’est mon pays natal. Mais la liberté, c’est un désir qui brûle en chaque être humain. Tant qu’on ne l’a pas, on va se battre. Et chez moi, c’est un mouvement assez organique que je ne contrôle.
Depuis que j’ai perdu mon pays, je suis une citoyenne du monde, je voyage beaucoup et je m’aperçois combien les frontières sont une illusion
Depuis que j’ai perdu mon pays, je suis une citoyenne du monde, je voyage beaucoup et je m’aperçois combien les frontières sont une illusion
Golshifteh Farahani
Lors de votre discours aux César, vous avez rappelé la nécessité de rêver ensemble, dans un moment où les conflits prolifèrent. Pourquoi est-ce si compliqué ?
Un des problèmes de l’humanité, c’est qu’on n’a pas de mémoire. On ne se souvient pas de l’Histoire. On est toujours en train de faire la guerre dans un monde où le virus n’a pas choisi l’Europe, le Moyen-Orient ou l’Asie : il a tué les gens de la même manière. Et pourtant on ne comprend pas la nécessité d’être unis. Aujourd’hui, il y a des forces qui déchirent l’humanité au lieu de rassembler. Ce sont les extrêmes qui foutent la merde, toujours. Depuis que j’ai perdu mon pays, je suis une citoyenne du monde, je voyage beaucoup et je m’aperçois combien les frontières sont une illusion. On s’en sert pour se séparer les uns des autres. Alors que c’est l’unité qui devrait nous faire sentir chez nous.
Justement, c’est où chez vous désormais ?
Une fois qu’on a perdu son chez soi, on investit plus dans le matériel, dans la terre, dans les murs. On sait justement que chez soi, c’est quelque chose qui n’est pas matériel. Chez moi, c’est l’art, c’est l’amour. Le cinéma. C’est tout ce qu’on construit en dehors du matériel. Parce que tout ce qui pourrait encore m’être arraché, ça ne peut pas être ma maison. Je l’ai déjà perdu. Et j’ai réalisé qu’elle est en moi. Ce sont les goûts d’Iran, les traditions, l’amour que j’ai pour ce pays.
Il vous arrive de rêver que vous y retournez ?
C’est drôle parce que mon rêve est devenu mon pire cauchemar. Je rêve que je suis dans un avion pour l’Iran mais je sais que je ne dois pas être dedans… Je vois les scènes où je suis là-bas, où je me retrouve perdue entre les langues et les cultures que je pratique aujourd’hui. C’est le bénéfice et la malédiction de l’exil. On est dans une zone ambiguë. On est en attente. Tout le temps.
Vous le racontez dans les films des autres. Ça vous tente de le faire dans le vôtre ?
Abbas Kiarostami disait que si vous avez un bouton qui est joli, vous pouvez faire un manteau. Ça fait longtemps que les gens me demandent si je ne veux pas réaliser un film. Jusqu’ici je n’avais pas trouvé le bouton mais je crois que c’est arrivé récemment. On va voir.
>> Roqya de Saïd Belkitibia. Avec Golshifteh Farahani, Jeremy Ferrari, Denis Lavant. 1h37. En salles ce mercredi.