Deux semaines après avoir été gracié, Moussa Dadis Camara a quitté la Guinée. Dans la nuit du dimanche 13 au lundi 14 avril, le capitaine à la tête de la junte qui a gouverné le pays de 2008 à 2010 s’est envolé pour le Maroc, selon un conseiller à la présidence guinéenne interrogé par Le Monde. « Il va revenir au pays dès la fin de ses examens [médicaux] et éventuellement des traitements », a assuré à l’Agence France-Presse (AFP) un de ses proches.
L’annonce de ce départ intervient deux semaines seulement après la grâce accordée à l’ancien dictateur par le chef des putschistes au pouvoir en Guinée, le général Mamadi Doumbouya. Une clémence perçue comme un affront à la justice par une partie de la société civile après sa condamnation à vingt ans de prison pour crimes contre l’humanité, pour sa responsabilité dans le massacre du 28 septembre 2009 à Conakry.
Ce jour-là, au moins 156 personnes avaient été tuées par balles, à coups de couteau ou de machette dans le stade de Conakry et ses environs, par des éléments des forces de défense et de sécurité guinéennes. Quelque 1 400 personnes avaient été blessées et plus de 100 femmes avaient subi des viols et des mutilations sexuelles, selon une commission d’enquête internationale mandatée par les Nations unies.
« Le procès du 28 septembre a été l’occasion de juger des crimes de masse pour la première fois dans l’histoire de notre pays », rappelle Alseny Sall, porte-parole de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH), pour qui la libération de Moussa Dadis Camara est « une atteinte à la dignité des victimes et de leurs familles ».
Une « ingérence » de l’exécutif
Deux jours avant de gracier l’ancien homme fort de Conakry, le général Doumbouya avait annoncé la « prise en charge des frais d’indemnisation des victimes du massacre ». Ces réparations ordonnées par le juge varient de 200 millions à 1,5 milliard de francs guinéens (de 20 270 à 152 000 euros), selon les cas. Mais depuis, « aucune indemnisation » n’a été débloquée, déplore Asmaou Diallo, présidente de l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre (Avipa), qui a recensé « 736 victimes de violations de droits de l’homme, dont des violences sexuelles ». Les autorités, elles, ont indiqué que seules « 334 personnes seraient indemnisées », au grand dam des familles de victimes.
En outre, « les autorités avaient promis d’accompagner les rescapés sur le plan médical, notamment les personnes devenues handicapées et celles contaminées par le VIH après des viols et des violences sexuelles. Des promesses qui n’ont pas été tenues », regrette un proche de victimes, qui reproche à la junte de privilégier la santé du principal accusé du procès, parti « se faire soigner au Maroc ».
En Guinée, la libération de l’ancien dirigeant a été d’autant plus mal accueillie qu’elle marque « une ingérence de l’exécutif dans le processus judiciaire, puisque la grâce ne peut intervenir qu’après une décision définitive du tribunal. Or le procès est en appel », souligne Alseny Sall, de l’OGDH. Contacté par Le Monde, l’un des avocats de Moussa Dadis Camara, Pépé Antoine Lama, n’a pas souhaité répondre.