L’enjeu du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle (IA) qui se tient jusqu’au mardi 11 février à Paris n’est pas de savoir si l’Europe peut rivaliser avec la Chine et les Etats-Unis, mais si les Européens peuvent ouvrir la voie à une approche différente, guidée par la recherche de la « valeur publique ». L’objectif est de s’éloigner du « féodalisme numérique », un terme que j’ai forgé en 2019 pour décrire le modèle dominant des plateformes numériques fondé sur l’extraction de rentes.
L’IA n’est pas un secteur comme un autre. C’est une technologie qui façonnera tous les secteurs de l’économie. Et qui, donc, pourra soit créer une immense valeur, soit causer de graves dommages. Parler comme certains de technologie « neutre » sous-estime son pouvoir économique fondamental. Même si l’IA était gratuite à développer, elle devrait être déployée, ce qui nécessite un accès aux grandes plateformes du cloud, ces gardiens du monde numérique que sont, notamment, Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud.
Cette dépendance rend d’autant plus urgent d’orienter le développement de l’IA vers le bien commun. La vraie question n’est pas de savoir s’il faut réglementer ou taxer le secteur après coup, mais comment structurer les marchés de l’innovation en IA, comment créer un écosystème décentralisé qui serve l’intérêt général.
L’histoire de l’innovation montre ce qui est en jeu. Comme je l’ai soutenu dans mon livre L’Etat entrepreneur [Fayard, 2020], de nombreuses technologies que nous utilisons quotidiennement sont le fruit d’investissements publics. Que serait Google sans l’Internet financé par la Darpa [Defense Advanced Research Projects Agency] ? Que serait Uber sans le GPS financé par la marine américaine ? Que serait Apple sans l’écran tactile financé par la CIA ?
Trajectoire extractive et prédatrice
Les entreprises qui ont tiré profit de ces investissements publics – tout en évitant souvent de payer leurs impôts – utilisent désormais leurs rentes pour siphonner les talents des institutions publiques. Ce parasitisme est illustré par le Department of Government Efficiency [DOGE, le département de l’efficacité gouvernementale] d’Elon Musk, qui plaide pour la suppression des programmes de financement gouvernementaux ayant pourtant permis à Tesla de bénéficier de 4,9 milliards de dollars (4,7 milliards d’euros) de subventions !
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