- Chaque année, plus de 700 personnes sont condamnées pour avoir causé un accident mortel de la circulation.
- Une équipe de « Sept à Huit Life » a pu filmer des procès de chauffards au tribunal de Bordeaux.
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Sept à huit
Ils ont tué sur la route et doivent désormais rendre des comptes à la justice. Plus de 700 personnes sont condamnées chaque année pour avoir causé un accident mortel de la circulation. Comment ces chauffards – qui encourent cinq ans de prison, sept ans lorsqu’il y a une circonstance aggravante et dix lorsqu’il y en a deux ou plus – sont-ils jugés face aux proches des victimes ? Les caméras du magazine « Sept à Huit Life » ont exceptionnellement pu filmer quatre dossiers au tribunal de Bordeaux (Gironde), un reportage diffusé ce dimanche 5 octobre sur TF1 à retrouver dans la vidéo en tête de cet article.
Pour avoir causé la mort d’un de ses passagers et blessé un second dans un accident de la route, l’intérimaire d’une vingtaine d’années, sans casier judiciaire, qui s’avance à la barre au début de ce reportage encourt dix ans de prison. Les faits se sont produits il y a deux ans. Un samedi soir, l’homme est sorti en discothèque avec deux connaissances. Il a alors consommé de l’alcool et du cannabis. C’est au petit matin qu’il a pris une décision fatale : celle de reprendre le volant pour rentrer.
« Notre vie est détruite »
« J’ai la boule au ventre, c’est la première fois que je suis ici »
, lance l’intérimaire à la barre, qui tient à « présenter [ses excuses à la mère de Mehdi [la victime, ndlr] […] [qu’il n’a] jamais vue »
. « Ça fait deux ans et demi que je fais des cauchemars. Je pense à ce jour-là. Et sincèrement, dans ma tête, j’ai une grande pensée pour la mère qui a perdu son fils »
, poursuit-il, affirmant avoir voulu prendre le volant car il était « sous stupéfiants »
.
Au volant, le prévenu aurait pris de multiples risques : dépassement par la droite, embardée, queue de poisson… Avec une vitesse estimée à 130 km/h au lieu des 90 autorisés, le conducteur a fini par perdre le contrôle. Le passager arrière n’avait pas sa ceinture de sécurité. Projeté à plus de 15 mètres, il est mort sur le coup. Le conducteur avait un gramme d’alcool dans le sang. « Notre vie est détruite. Alors, certes, d’entendre qu’il fait des cauchemars… Mais est-ce qu’on peut s’imaginer cinq minutes ce que moi, mon mari, ma fille, on vit ? Je suis sous cachets depuis ce jour-là parce que je ne tiens pas »
, déclare la mère de la victime devant le tribunal, des sanglots dans la voix. Pour elle, « il restera le tueur de [son] fils »
. « Lui, il prendra ce qu’il prendra, mais nous, on prend perpétuité »
, conclut-elle.
Nous, on prend perpétuité.
Nous, on prend perpétuité.
La mère de la victime
La procureure Sylvie Rodrigues requiert quatre ans de prison, dont deux ans ferme, et donc son incarcération. Pour éviter cette dernière à son client, l’avocat explique que celui-ci s’est pleinement investi dans les soins que lui impose son contrôle judiciaire. Il transmet aussi des analyses qui attestent qu’il ne toucherait plus ni à l’alcool, ni aux stupéfiants. Après 30 minutes de délibéré, le tribunal rend sa décision. Le chauffard est déclaré coupable d’homicide involontaire et de blessures involontaires. Il est condamné à quatre ans de prison, dont trois ans assortis d’un sursis probatoire pendant une durée d’un an. La peine ferme d’un an se fera sous bracelet électronique.
« Je ne me suis pas imaginé que c’était mon ami qui était là »
L’alcool est en cause dans un accident mortel sur trois, comme dans cette autre affaire. L’accusé, un artisan, avait deux grammes et demi d’alcool dans le sang lorsqu’il a écrasé sur une petite route de campagne son meilleur ami, ivre lui aussi. Les deux familles étaient très proches. Le président du tribunal Cyril Vidalie explique que les deux hommes étaient partis pêcher, jusqu’à environ 16 heures le jour de l’accident, et qu’ils ont bu une grande quantité d’alcool. Après une soirée passée dans un bar, le prévenu a décidé de rentrer chez lui, après avoir cherché son ami sans le trouver.
L’homme a alors pris son véhicule et dit avoir heurté ce qu’il pensait être un animal. L’artisan venait en réalité de percuter son ami. Un expert a établi un rapport et un schéma de l’accident. Le piéton marchait au milieu de la chaussée. La voiture qui l’a heurté roulait à une vitesse estimée à 109 km/h au lieu des 80 autorisés. Le véhicule a roulé 100 mètres sur le bas côté opposé, avant de reprendre sa route.
« J’ai entendu un choc, je n’ai absolument rien vu »
, assure l’homme à la barre. « C’est une route qui est au milieu de rien […] C’est fréquent qu’on ait des animaux. Je ne me suis pas imaginé que c’était mon ami qui était là »
, ajoute-t-il. Il explique avoir circulé au milieu de la chaussée de peur de rencontrer un animal sur sa route. « Je ne comprends toujours pas aujourd’hui comment je n’ai pas pu voir »
, admet celui qui a reconnu, lors de l’enquête, boire dix à 15 verres de bière le week-end.
J’aurais préféré que ce soit moi ce soir-là.
J’aurais préféré que ce soit moi ce soir-là.
Un conducteur condamné
Un an avant l’accident, l’artisan avait été condamné à un stage de sensibilisation et à installer pendant huit mois sur son véhicule un éthylotest dans lequel il devait souffler pour pouvoir démarrer. « Je voudrais m’excuser auprès de la famille, même si je sais que ce qui est arrivé ce jour-là, c’est impardonnable. J’aurais préféré que ce soit moi ce soir-là »
, avoue l’homme.
La procureure requiert à son encontre quatre ans d’emprisonnement, dont deux ferme, assortis d’un sursis probatoire. Pour l’avocat, son client, brisé mais parfaitement inséré, ne doit pas être jeté en prison. En attendant la décision du tribunal, le père de la victime s’avoue tiraillé par des sentiments contraires. « Je ne suis plus comme avant, depuis que mon fils est parti »
, révèle Claude, qui se dit toutefois prêt à pardonner. « Ils ont toujours été comme deux frères »
, confie-t-il au micro de TF1. L’artisan est condamné à une peine de trois ans de prison, dont un an ferme sous bracelet électronique et deux ans avec sursis probatoire. L’artisan échappe à l’incarcération. Il devra aussi suivre des soins et ne pourra pas repasser son permis annulé avant un an.
15 km d’une conduite insensée jusqu’à 130 km/h
Certains proches de victimes ne veulent plus entendre parler d’homicide involontaires lorsque les chauffards ont, en conscience, pris tous les risques. Chloé, Gabrielle et Iris ont croisé la route de l’un de ceux-là. En août 2023, les trois étudiantes sont venues de Suisse pour des vacances à la mer. Lors d’une session de surf, Gabrielle s’est blessée au nez. Le lendemain, ses amies l’ont accompagnée pour une consultation à l’hôpital. Il était 19h, ce 14 août, lorsqu’elles ont voulu regagner leur maison de vacances. Gabrielle était au volant. Au cours du trajet, une voiture en train de doubler ne s’est pas rabattue. Les deux véhicules sont entrés en collision. Gravement blessée et opérée en urgence, Gabrielle s’en est sortie. Mais Chloé et Iris, elles, sont mortes sur le coup. Un an et demi après, Gabrielle est encore fragile, étouffée par un sentiment de culpabilité. « Je me souviens qu’à un moment, elles se posaient sur la plage parce qu’elles en avaient marre et moi je me suis dit : ‘Est-ce que je rentre avec elles ou est-ce que je continue ?’ Du coup, j’ai continué et c’est là où je me suis pris la planche et c’est pour ça qu’on est allé à l’hôpital, et c’est pour ça qu’il y a eu l’accident »
, se souvient-elle.
Lorsque son procès s’ouvre, le chauffard, âgé de moins de 30 ans et père d’un enfant, commercial jusqu’au jour de l’accident, est en détention provisoire depuis 16 mois. Pour la première fois, Gabrielle et les familles des victimes lui font face. Ce 14 août 2023, l’homme a travaillé toute la nuit, pris de la cocaïne et a, au petit matin, voulu emmener sa compagne voir la mer. Pendant une pause déjeuner, il a consommé de l’alcool. Sa compagne, inquiète, n’a pas voulu qu’il reprenne le volant. Après une dispute, l’homme a laissé sa compagne sur le bord du chemin, avant de subir un premier accident : son véhicule est tombé dans le fossé. Une fois sa voiture sortie de ce fossé par des dépanneurs, le commercial a repris la route, en prenant tous les risques. L’accident aura lieu après 15 km d’une conduite insensée jusqu’à 130 km/h.
À la barre, Gabrielle parle de ces « amies d’enfance qui ont été avec [elle] depuis 15 ans »
. « C’est très difficile de réaliser que j’ai tout fait correctement et qu’elles sont quand même parties »
, déplore-t-elle. Outre l’alcool, la drogue, le refus d’obtempérer et la vitesse excessive, le chauffard n’avait ni permis de conduire, ni assurance. Le prévenu a déjà été condamné à quatre reprises pour conduite sans permis, dont une fois sous stupéfiant. « C’est impardonnable et inexplicable »
, confesse-t-il, promettant qu’après ce drame, il ne touchera plus à la drogue.
Le prévenu ayant aussi été condamné pour un crime lorsqu’il était mineur, un vol à main armée, il encourt le double de la peine habituelle, soit 20 ans de prison. C’est ce qu’on appelle la grande récidive criminelle. Conformément aux réquisitions du procureur, le chauffard est condamné à 10 ans de prison ferme. Une des peines les plus lourdes jamais prononcées en France pour un accident mortel de la circulation. Il a fait appel de sa condamnation et a finalement écopé de 8 ans de prison ferme.
« J’ai détruit cette famille par mon acte »
En France, lorsqu’un accident mortel se produit, les conducteurs les plus souvent responsables du drame sont les 18-24 ans, ainsi que les plus de 75 ans. La prévenue qui s’avance à la barre a 87 ans. Il y a deux ans, Marta Valls-Marchetti a percuté de plein fouet et tué un jeune retraité qui circulait à moto avec son épouse. Une semaine avant l’audience, l’octogénaire avait accepté de témoigner au micro de TF1, chez son avocat. « Mon mari avait la maladie d’Alzheimer. Il était complètement désorienté, la nuit, il se levait deux, trois fois et il ne savait plus qu’il était perdu et il fallait que je sois en permanence plus ou moins en éveil. Et ce jour-là, j’avais profité d’un instant où il était un peu apaisé pour aller faire les courses. J’ai pris la voiture, j’avais dix kilomètres à faire. Ce n’était quand même pas une affaire terrible et j’ai pris le volant et puis tout d’un coup, je n’ai pas compris, je n’ai pas perçu le choc avec la moto. J’ai simplement repris mes esprits quand l’airbag s’est déclenché. Je présume que je me suis endormie »,
raconte-t-elle.
Au tribunal, elle s’adresse à la famille de la victime : « Je ne demande pas d’indulgence, mais je demande un peu de compassion aussi, parce que c’est pour moi maintenant une grande souffrance de savoir que j’ai détruit cette famille par mon acte. »
En réponse, la fille du conducteur décédé affirme ne pas accepter d’excuses. « C’est comme si j’avais perdu mes deux parents en même temps […]. Ma mère est là actuellement, mais sa vie, elle est ruinée »
, explique-t-elle.
Pour juger l’octogénaire, le tribunal et la partie civile tentent de savoir si elle s’est endormie ou si elle a fait un malaise. Car dans ce cas, sa responsabilité pourrait être écartée. Finalement, pas de malaise avéré. Pour l’avocat des parties civiles, c’est la conduite des seniors qui pose question dans ce dossier. Le procureur Olivier Étienne requiert une peine de dix-huit mois à deux ans d’emprisonnement avec sursis. Marta Valls-Marchetti sera reconnue coupable, condamnée à l’annulation de son permis de conduire et à une interdiction de le repasser pendant une durée de cinq ans.