Ce jour-là, Odile de Vasselot de Régné est fatiguée. A 103 ans, ce sont des choses qui arrivent. On propose de repousser l’entretien à une autre fois. Elle insiste pour maintenir le rendez-vous, ce 17 avril. Le sentiment d’urgence sans doute. Et aussi le sujet qui lui tient à cœur : raconter la première fois où elle a eu le droit de voter, comme toutes les Françaises, le 29 avril 1945. C’était à l’occasion d’élections municipales.
Elle aimerait raconter les détails, dans la chambre de son Ehpad parisien. Mais tout se mêle, se confond : elle a glissé son bulletin dans tant d’urnes depuis quatre-vingts ans. Consciente et agacée que son cerveau renâcle, la centenaire dit en anglais : « I am sorry. » C’est la langue qu’elle utilisait avec les aviateurs alliés pendant la guerre, quand elle participait, à partir du début de 1944, au réseau Comète. Ce groupe, aussi baptisé « La Ligne », exfiltrait vers Gibraltar, à travers la Belgique, la France et l’Espagne, ceux dont l’avion avait été abattu, qui avaient réussi à se cacher et à être récupérés par la Résistance.
Le 11 novembre 1940 déjà, à 18 ans, cette femme, issue d’une famille de militaires, avait pris part au défilé interdit devant l’Arc de triomphe et la tombe du soldat inconnu, considéré comme un des premiers actes de défi à l’occupant nazi. Puis elle avait déchiré des affiches de propagande, peint des croix de Lorraine sur les murs de la capitale. Elle avait enfin trouvé une filière clandestine fin 1942 et adhéré au modeste réseau Zéro, qui faisait du renseignement. Puis elle avait rejoint Comète. Elle avait échappé à la traque et aux arrestations, parfois de justesse, comme cette fois où les deux aviateurs anglais qu’elle convoyait avaient été découverts lors d’un contrôle de la police allemande dans le train entre Lille et Paris. La passeuse s’était tirée par miracle du coup de filet et de ses conséquences certaines. Elle raconte tout cela dans Tombés du ciel. Histoire d’une ligne d’évasion (Editions du Félin, 2005).
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