Ce lundi 24 mars, s’ouvre devant la cour d’assises des mineurs de Paris le procès de 9 hommes, tous jugés pour avoir tué un père de famille après lui avoir dérobé une importante somme d’argent.
La plupart des accusés nient les faits, à commencer par le tireur présumé.
« Je ne me remets pas du tout du sang-froid du tireur. Tirer dans le dos de quelqu’un qui est maîtrisé par deux autres, la victime n’avait aucune chance. Je n’en dors plus… » Face aux membres de la Brigade de répression du banditisme (BRB) de la PJ parisienne ce 12 juillet 2018, Jorge A. est encore traumatisé par la scène qu’il a observée quelques jours plus tôt. « La victime m’a dit : ‘C’est pas des flics ! Je vais mourir. Aide-moi. Appelle la police !’ Ils étaient très organisés, minutieux. Je pense qu’ils ont été surpris par la rédaction de la victime, qui s’est battu jusqu’au bout. »
Cette scène s’apprête à être au centre d’un procès long de trois semaines, qui s’ouvre ce lundi 24 mars devant la cour d’assises des mineurs Paris : le meurtre de Rudy Bensimon, le 9 juillet 2018 au niveau d’une bretelle de sortie de l’autoroute A86, sur la commune d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Le commerçant, âgé à l’époque de 31 ans, était mort de deux balles tirées dans l’artère fémorale. Il était père de trois enfants.
L’enquête menée pendant plus d’un an par la BRB a permis d’identifier tous les membres présumés du commando à l’origine de la mort de la victime. L’un d’eux n’avait que 17 ans au moment des faits. L’audience, théoriquement tenue à huis clos à cause de sa minorité lors du meurtre, pourrait toutefois être ouverte au public, si les magistrats le décidaient.
Ce 9 juillet 2018, alors qu’il quitte au volant de son véhicule utilitaire le salon consacré à la culture japonaise « Japan expo » à Villepinte (Seine-Saint-Denis), Rudy Bensimon aperçoit des gyrophares bleus dans ses rétroviseurs. Le passager d’une Renault Laguna, brassard « police » autour du bras, se met à son niveau et lui demande de sortir immédiatement de l’A86. Trois hommes vêtus de noir sont à bord de la voiture, bientôt suivis par deux complices à moto, eux aussi prétendus fonctionnaires de police. Le supposé contrôle va en fait vite se transformer en une violente agression.
100.000 euros en espèce
Les suspects n’ont pas ciblé leur « proie » par hasard : ils s’emparent sans attendre de la mallette de la victime, qui contenait alors la recette glanée sur le stand de son entreprise, Geek Replic, pendant la « Japan expo ». Environ 100.000 euros en espèce d’après l’enquête, que Rudy Bensimon va tout faire pour ne pas se faire voler, en se défendant seul face à ces cinq hommes cagoulés. Le commerçant, tombé au sol, est très vite roué de coups puis violemment maîtrisé. C’est là que le conducteur de la moto de grosse cylindrée va subitement se lever et ouvrir le feu à deux reprises au niveau de la cuisse du père de famille, qui était de dos et maîtrisé contre son véhicule par deux des malfaiteurs. Rudy Bensimon décèdera une heure plus tard de ses blessures. Les voyous, eux, prendront immédiatement la fuite, avec leur butin.
Seul indice repéré sur les caméras de surveillance : le tireur, qui conduisait la puissante moto Yamaha, avait des baskets noires, aux semelles rouges…
L’un des anciens bras droit de la victime soupçonné
La Brigade de répression du banditisme, en étudiant des dizaines d’heures de vidéo-surveillance et en épluchant des centaines de relevés téléphoniques, va peu à peu comprendre que Rudy Bensimon était surveillé par ses futurs meurtriers quelques jours déjà avant sa mort, dans le but de lui dérober de l’argent. Ses mouvements étaient épiés presque quotidiennement à travers la région parisienne par le commando, qui le suivait en voiture comme en moto. L’un des instigateurs présumés de l’attaque n’est autre que l’ancien bras droit de la victime, son « ami et mentor » dira l’enquête, que le commerçant avait fait longuement travailler à ses côtés.
Les enquêteurs vont alors peu à peu resserrer leur étau à plusieurs hommes d’une vingtaine d’années, pour la plupart originaires de Thiais dans le Val-de-Marne, et pour certains un temps co-détenus en prison. La majorité d’entre eux, décrits par les juges comme « déjà aguerris à une délinquance violente et opportuniste » ont des casiers judiciaires bien remplis, avec une multitude d’affaires de coups et blessures, de vols, de port d’arme prohibé, ou encore de trafic de drogue.
Paire de baskets noires à semelles rouges retrouvée au domicile du tireur présumé
Lors de leurs différents interrogatoires, la grande majorité des malfaiteurs a nié les faits, jouant soit la carte de l’amnésie soit reconnaissant du bout des lèvres leur participation, tout en minimisant considérablement leur rôle.
Le tireur présumé – dont une paire de baskets noires à semelles rouges a été retrouvée par la BRB en perquisition à son domicile – répète lui être totalement étranger à cette affaire. Et que les semelles de ces fameuses baskets ne sont pas rouges, mais orange.
« Le décès d’un commerçant père de trois enfants n’a pas été une motivation suffisante pour s’affranchir de la loi du silence » écriront les juges d’instruction, l’air dépité. L’enquête aura été émaillée de nombreux incidents : menaces de mort entre mis en cause, pressions exercées sur des proches, insultes, soupçons de concertation entre suspects pour ne rien avouer…
Cinq des accusés ont depuis été condamnés à des peines allant jusqu’à cinq ans de prison par le tribunal de Versailles en avril 2023 pour avoir séquestré un homme de 31 ans, qui avait ensuite réussi à s’enfuir. Les faits avaient été commis fin 2018, quelques mois donc seulement après le meurtre de Rudy Bensimon, alors que le commando était en fuite.
« Ils attendent de ce procès qu’un moment donné ils puissent connaitre la vérité, sur ce qu’il s’est vraiment passé », explique pour TF1 maître Daphné Pugliesi, l’avocate de plusieurs membres de la famille Bensimon. « On a l’impression que les accusés jouent avec la justice, alors qu’il y a eu un mort. Que le crime puisse avoir été instigué par un proche, un homme qui a dormi chez Rudy, qui a mangé avec ses enfants, avec son épouse, ses frères et ses soeurs, cela les hante aujourd’hui encore », poursuit l’avocate.