Jack McCollough et Lazaro Hernandez sont globalement inconnus en France, mais ils vont reprendre l’une des marques de mode les plus performantes du groupe LVMH qui a annoncé lundi 24 mars leur nomination à la direction artistique de Loewe. Ils succèdent ainsi à Jonathan Anderson, qui devrait très probablement poursuivre sa carrière au sein du conglomérat de luxe, chez Dior.
Si l’on connaît à peine les noms de Jack McCollough et Lazaro Hernandez, celui de Proenza Schouler, la marque qu’ils ont fondée en 2002, est déjà un peu plus célèbre. Ces deux Américains, nés en 1978, ont fait la même école de mode, la Parsons School of Design, à New York, où ils se sont rencontrés, et ont signé leur collection de fin d’études ensemble. Celle-ci avait été directement achetée par le grand magasin Barneys, participant à l’engouement général du milieu de la mode américaine pour ce jeune couple, brillant et ambitieux.
Dans les années 2000, Proenza Schouler fait partie des griffes les plus intéressantes de la fashion week de New York. Le duo se démarque de la concurrence locale en étant moins commercial, en mêlant habilement technologie et artisanat pour fabriquer de nouveaux tissus, en invoquant régulièrement des artistes d’art contemporain (Richard Serra, Frank Stella, Robert Morris, etc.). Il trouve rapidement son public, notamment avec le sac PS1, adopté largement par les stars de l’époque, de Nicky Hilton à Chloë Sevigny, en passant par les actrices de la série Gossip Girl. Soutenus par Anna Wintour, Jack McCollough et Lazaro Hernandez reçoivent plusieurs prix décernés par le Conseil des créateurs de mode américains (CFDA), en 2003, 2007 et 2011.
Une escapade parisienne
Au début des années 2010, Proenza Schouler est au sommet de sa gloire, et les rumeurs d’un rapprochement avec LVMH – qui investirait dans l’entreprise ou proposerait au duo de reprendre une maison – vont bon train. A chaque fois, dans les médias, les deux Américains démentent et réaffirment leur volonté de se concentrer sur leur label, de profiter pleinement de leur indépendance. En 2017, ils tentent une escapade parisienne avec un défilé en préambule de la Semaine de la haute couture. Les critiques sont mitigées et cette désertion est mal vue par le CFDA. Ils rentrent à New York et reviennent à des collections assez lisses, qui, ces dernières années, avaient tendance à être éclipsées par celles de nouveaux designers plus engagés politiquement, tels que Luar, Willy Chavarria ou Diotima.
2025 est l’année du changement : en janvier, trois mois environ après avoir engagé la nouvelle directrice générale, Shira Suveyke Snyder, la marque annonce que Jack McCollough et Lazaro Hernandez quittent la direction artistique (mais restent actionnaires et membres du conseil d’administration). « Cette décision mûrement réfléchie paraît être la bonne chose à faire à ce stade de nos vies », philosophait Jack McCollough dans le communiqué de presse annonçant la rupture.
Sauront-ils s’adapter à Loewe ? Le défi est de taille. D’abord parce que, malgré son expérience et son talent, le duo est resté très ancré aux Etats-Unis, où la mode est abordée de manière plus commerciale et plus pragmatique qu’en France. L’histoire a montré que le choc des cultures n’est pas toujours fructueux. En 2012, le designer Alexander Wang, star de la fashion week new-yorkaise, avait pris la direction artistique de Balenciaga (qui appartient à Kering) : la collaboration n’avait duré que trois ans.
Par ailleurs, il lui sera difficile de passer après Jonathan Anderson, qui, en près de douze ans, a laissé une empreinte profonde chez Loewe, avec ses collections qui frisaient le conceptuel et débordaient de références culturelles, son goût pour l’artisanat habilement mis en scène, sa capacité à créer un univers cohérent et singulier autour d’une marque qui manquait jusqu’alors singulièrement d’ADN… Pour ses successeurs, la comparaison risque d’être désavantageuse. A moins que le recrutement de Jack McCollough et Lazaro Hernandez ne soit justement un moyen de tourner la page et de propulser Loewe dans un autre univers.