Au cimetière de Zoubayr, une ville de la région de Bassora, en Irak, une dizaine d’hommes se relaient pour lisser la terre fraîche d’une tombe. Après avoir chassé les derniers grains de sable accrochés à la dalle funéraire de son père, Ayser Al-Yaqoub, 32 ans, se relève péniblement. D’un geste lent, il retire sa casquette pour éponger les gouttes de sueur qui perlent sur son front. Des cheveux se dispersent au creux de sa paume, qu’il referme aussitôt. Espère-t-il retenir ce que la chimiothérapie lui arrache chaque jour ?
Ayser lutte depuis deux ans contre le cancer. Un lymphome. Ce diagnostic, il s’y était préparé depuis longtemps. « Ici, le cancer, c’est comme un rhume, tout le monde finit par l’avoir », confie-t-il, fataliste. Son neveu de 7 ans souffre de la même maladie et, maintenant qu’il est papa d’une petite fille, Ayser redoute qu’elle soit à son tour atteinte. « J’ai vu tellement de proches enterrer ceux qui auraient dû leur survivre. Les enfants doivent partir après leurs parents. C’est la règle », assène-t-il, les yeux rivés sur les tombes.
Voilà dix-sept ans que ce père de famille transporte les ouvriers de la Basra Oil Company (BOC), la société nationale chargée de l’exploitation des champs de pétrole du sud du pays. Au volant de son car, il sillonne les routes de Rumaila, troisième site de production au monde. Ayser connaît par cœur ces étendues désertiques hérissées de torchères, qui crachent leurs flammes jour et nuit. Il sait combien ce paysage de sable gris-jaune et de fumées noirâtres peut sembler immuable. Mais il sait aussi que les passagers du car, eux, disparaissent un à un.
Il vous reste 92.61% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.