Ce matin de septembre, Virginie, 46 ans, prend la route pour la soutenance de son mémoire sur « L’échec des filles en mathématiques en classe de CP ». C’est l’ultime étape de l’année dense et studieuse vécue par cette inspectrice de l’éducation nationale en reprise d’études. Concentrée, elle passe en revue les points de sa présentation dans sa tête quand son téléphone sonne. Elle jette un œil sur l’écran : sa plus jeune sœur cherche à la joindre. Elle hésite quelques secondes puis décroche. « Je lui ai dit que j’allais à mon oral, mais elle a vite embrayé et s’est mise à râler contre notre frère qui ne répond jamais aux messages. C’est un sujet récurrent entre nous. On en a déjà parlé des dizaines de fois », se souvient Virginie. Après de longues minutes de conversation, l’aînée raccroche et poursuit son chemin. A la fin de la journée, elle se contente de poster brièvement sur le groupe WhatsApp partagé avec ses deux sœurs et son frère qu’elle a soutenu son mémoire et que tout s’est bien passé.
Virginie est l’aînée de quatre enfants, et elle a l’habitude que ses cadettes – son frère communique peu par téléphone ou messagerie – l’appellent « pour se plaindre ». Cette fois-ci, comme toutes les autres, elle a donc répondu présent. « J’aurais pu ignorer l’appel, avance-t-elle. Mais cela faisait plusieurs fois qu’on se loupait et je savais qu’elle voulait vider son sac. Avec mes sœurs, je suis dans la réception de leurs histoires et de leurs récits. Cette posture me convient, même si parfois on me reproche de ne pas répondre assez vite. » En y repensant, Virginie se dit que, ce jour-là, c’était peut-être bien elle qui aurait été « légitime » à réclamer une oreille attentive. Mais elle ne l’a pas fait.
Elle le dit sans détour, elle se sent un peu comme la « deuxième maman » de ses deux frangines de 42 et 37 ans. « Je me suis toujours occupée de Margaux, la petite dernière, que j’allais chercher à l’école dès ses 3 ans. Avec elle, j’ai endossé un rôle très maternant, et j’aimais ça. » Margaux confirme : « J’étais tellement fan d’elle, elle était la perfection incarnée. Quand elle me regardait, je me sentais hyper fière. » Trente-quatre ans plus tard, la petite fille devenue adulte confirme que son aînée tient une place à part dans la fratrie. « Virginie est calme, réfléchie, elle a un jugement hyper sûr. Elle se confie assez peu, c’est une forteresse, et elle maintient l’édifice collectif. C’est vrai qu’elle est toujours là pour moi, mais je trouve ça un peu normal, poursuit Margaux dans un éclat de rire. Elle a une longueur d’avance sur l’analyse de la vie, sur la manière de fonctionner avec nos parents. En la regardant, j’entrevois un peu ce qui m’attend dans les prochaines années. »
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